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Full text of "Plan d'écoles générale et spéciales pour l'agriculture, l'industrie manufacturière, le commerce et l'administration, par G. Lamé et E. Clapeyron"

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BIBLIOTHECA 

M1CHAEL1S 

CHASLES 

ACAD. SCIENTIAR . SOCII. 








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PLAN D’ECOLES 

GÉNÉRALE ET SPÉCIALES 

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POU H 


L’AGRICULTURE 9 

L’INDUSTRIE MANUFACTURIERE , LE COMMERCE 
ET L’ADMINISTRATION. 


IMPRIMERIE DE BACHELIER , 

rne iln Jardinet, n" v>.. 

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9 


PLAN D’ÉCOLES 

GÉNÉRALE ET SPÉCIALES 

POUR 

L* AGRICULTURE , 

L’INDUSTRIE MANUFACTURIERE , LE COMMERCE 
ET L’ADMINISTRATION ; 


PAR 

G. LAMÉ et E. CLAPEYRON. 



BACHELIER, IMPRIMEUR-LIBRAIRE, 

QUAI DES AUGUST1NS, N° 55 . 

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1853 


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AVERTISSEMENT. 

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Cet Ouvrage devait paraître comme une se- 
conde publication faite par les quatre auteurs 
des Vues politiques et pratiques sur les Tra- 
vaux publics de France . Plusieurs des idées 
qui lui servent de base ont été discutées dans 
le sein de leur société. 

\ 

Mais M. Stéphane Flachàt, qui a eu la plus 
grande part à la conception du premier ouvrage, 
et qui l’a rédigé en entier, se trouve forcé main- 
tenant de consacrer tout son temps à des affaires 
personnelles et impérieuses. Privée d’un membre 
aussi actif et aussi capable, l’association dont il 
faisait partie ne peut plus subsister. 

Cependant la seconde publication qu’elle avait 
projetée nous a paru aborder un sujet trop im- 
portant, à l’époque actuelle, pour être aban- 
donnée. Nous en avons donc continué la rédac- 
tion , et nous l’offrons aujourd’hui au publie, 
telle qu’elle était commencée. 

Si nos deux noms figurent seuls en tête de cet 


( vm ;) ' 


Pages. 

— Bureau de statistique. — Bureau d’administra- 


tiou. — Exercices militaires ; . 8i 

. - • . 

Chap. Y. — De TÉcole Polytechnique. — De l’examen 


d’entrée à l’École centrale. — De la distribution des 
études dans cet établissement. 

Chap. VI. — Des Écoles spéciales de l’Agriculture , 
de l’Industrie, du Commerce et de l'Administration. 
— Du Corps et de TÉcole des Ponts-et-Cliaussées. 


— Du Corps et de TÉcole des Mines « 108 

Conclusion. < ; . . 129 


• • • » 
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» 

. FIN DE LA TABLE DES MATIÈRES4 


» 1 


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AYANT - PROPOS. 


Unis pour discuter et traiter en commun toutes 
les grandes questions qui se rattachent au déve- 
loppement de l’industrie , à l’organisation du tra- 
vail , nous nous sommes occupés, dans une pre- 
mière publication (i), des moyens de créer en 
France un vaste système de travaux publics , ré- 
clamé impérieusement par les besoins de la société. 
* En principe , nous avons principalement cherché 
à y démontrer l’impuissance des doctrines du 
laissez-faire ; doctrines dont la conséquence lo- 
gique est d’établir une séparation de plus en plus 
profonde entre la société et son gouvernement; 
comme si la marche évidente de la société, son 
besoin , sa mission , n’étaient pas , au contraire , 
de se constituer un gouvernement qui soit son 
expression la plus élevée et la plus complète. 

En fait, nous avons proposé, soit les travaux 
qui nous paraissent les plus utiles , les plus urgens 


(i) Vues Politiques et Pratiques sur les Travaux publics 
de France. Chez Paulin et Carilian-Gœury, libraires. 


( 2 ) 

pour le développement du commerce , de l’agri- 
culture , de l’industrie ; soit les moyens financiers 
par lesquels ces travaux pourraient être exécutés ; 
moyens financiers qui sont l’expression pratique 
de la pensée fondamentale de notre premier ou- 
vrage, et nous pourrions dire de notre association, 
la nécessité d’une alliance de plus en plus solide 
entre le gouvernement et la société , entre l’in- 
térêt général et l’intérêt privé. 

Nous croyons que cet ouvrage fournit une pre- 
mière et incontestable preuve que l’organisation 
du travail n’est pas un vain mot , une utopie in- 
conciliable avec les institutions de liberté, avec 
les garanties parlementaires, avec les formes du 
gouvernement que nous possédons aujourd’hui. 
Le gouvernement parlementaire qui a fondé le 
crédit en France, a évidemment la puissance de 
développer un vaste système de travaux publics 
fondé sur le crédit. 

Toutefois nous sentons bien , et tous nos lec- 
teurs auront senti avec nous, qu’il ne suffit pas 
d’indiquer les ti avaux à exécuter, et les moyens 
financiers par lesquels les fonds nécessaires peu- 
vent être obtenus. Il faut des hommes aussi : si la 
France est assez riche en ingénieurs pour se li- 
vrer aujourd’hui avec confiance à l’exécution de 
grands travaux publics, il ne faut pas oublier 
qu’elle le doit à une école générale (l’École Poly- 
technique), à des écoles spéciales (celles des Ponts- 


(.3 ) 

et-Chaussées et des Mines), qui datent déjà de 
plus de trente ans. Mais un vaste système de tra- 
vaux publics développé sur le sol de la France ne 
produirait pas tous les résultats qu’on est en droit 
d’en attendre, si l’agriculture , l’industrie manu- 
facturière, le commerce, l’administration, ne mar- 
chaient du meme pas. Où sont nos Écoles générales 
et spéciales pour l’administration, le commerce , 
l’industrie , l’agriculture ? 

Telle est la pensée qui a inspiré ce second ou- 
vrage, complément indispensable du premier. 

L’instruction publique est aujourd’hui l’une des 
matières dont les esprits sont le plus occupés, et à 
bon droit; mais, prise dans sa généralité, embras- 
sée dans son ensemble, elle offre des difficultés 
pour la solution desquelles nous croyons qu’il 
manque encore plusieurs élémens essentiels. Nous 
n’envisageons donc cette question que sous un 
point de vue particulier, celui de l’éducation pro- 
fessionnelle des personnes appelées, par leur po- 
sition et leurs moyens, à diriger l’élan industriel 
de la France. 

L’éducation morale, l’enseignement des lettres 
et des beaux-arts , exigent d’autres connaissances 
que celles dont nous pouvons disposer. L’influence 
que ces branches de l’éducation nationale doivent 
avoir sur notre avenir, quoique très puissante et 
très étendue, est d’ailleurs plus éloignée et moins 
immédiate; elle ne pourra mémo être bien corn- 


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( 4 ) ■ 

prise que lorsque la société aura fait quelques pas 
de plus dans la carrière industrielle. 

L’enseignement des sciences , au contraire , a 
une influence directe et immédiate sur les progrès 
de l’industrie; c’est par lui qu’il faut commencer 
la réforme. D’abord secourir l’industrie, lui offrir 
des débouchés en créant de nouvelles voies de 
communication , de nouveaux moyens de crédit ; 
ensuite créer ou former des écoles spéciales , pour 
donner à la société des ingénieurs , des chefs d’ate- 
lier, des manufacturiers, des négocians , des ban- 
quiers , des administrateurs ; plus tard , s’occuper 
des fèttres et des beaux-arts , pour les mettre en 
harmonie avec l’état social. Telle est, suivant nous, 
la marche à suivre pour déterminer au sein de la 
société les progrès les plus généraux et les plus 
sûrs. On parvient plus facilement à faire mouvoir 
une grande masse d’hommes ou de choses dans 
une direction déterminée , en accélérant d’abord 
le mouvement des masses partielles les plus, voi- 
sines de la direction à suivre, et faisant successi- 
vement agir l’aiguillon sur celles qui en sont de 
plus en plus éloignées. 

On comprendrait mai notre idée, si l’on croyait 
que la série que nous venons de tracer indique , 
dans notre opinion , un ordre décroissant, dans 
l’importance des branches de la science sociale que 
nous y avons énumérées. Loin de là, les lettres , 
les beaux-arts, ont à nos yeux une valeur sociale 


( 5 ) 

égale à celle de l’industrie ; et au-dessus de ces 
divers modes d’activité de l’esprit humain , nous 
voyons la morale, la morale qui fait sentir à 
l’homme l’agrandissement de sa vie , qui le pousse 
à l’association , qui lui donne une notion toujours 
plus élevée , plus large , de lui , de l’humanité , de 
Dieu. Sans lettres, sans beaux-arts, sans morale, 
l’existence n’aurait ni charme, ni poésie, ni sanc- 
tion ; mais pour que ces idées et ces sentimens 
puissent pénétrer dans les masses et agir sur elles, 
il faut , avant tout, que leur bien-être matériel soit 
augmenté : c’est pourquoi, en considérant l’état 
actuel de la société , les privations qu’y subit en- 
core la majorité, nous répétons que le moment 
n’est pas venu où l’organisation des beaux-arts et 
l’action de la morale peuvent entrer directement 
dans nos institutions et nos lois. Mais nous appe- 
lons ce moment de tous nos vœux, et, pour le 
hâter , nous demandons d’abord à la société d’ap- 
pliquer surtout sa sollicitude et son énergie au 
développement du bien-être matériel des masses. 

Ce n’est pas toutefois que nous pensions que 
cette action sociale doive être exclusive. Aussi nous 
applaudissons de grand cœur aux efforts tentés 
pour les progrès de l’instruction primaire ; nous 
reconnaissons même que dans cette voie se ren- 
contreront de plus graves difficultés que dans celle 
où nous entrons. Par exemple , l’on est d’accord 
sur la nécessité de propager la lecture et récri.- 


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( 6 ) 

tare ; mais l’on manque absolument et d’ouvrages 
populaires et d’institutions primaires. C’est donc 
au milieu de causes continuelles de retardement, 
à travers une ignorance profonde, et souvent une 
déplorable misère, que devra pénétrer l’instruc- 
tion primaire. Gloire à ceux qui entreprennent 
une telle œuvre! Quant, à la nôtre, elle est plus 
facile à accomplir, et son succès est plus prochain. 
Nous entreprenons de jeter les bases sur lesquelles 
pourra se réformer ou se compléter l’instruction 
scientifique des jeunes gens que leurs talens na- 
turels, la position ou la fortune de leurs parens , 
mettent à la tète de la nouvelle génération. C’est 
d’ailleurs, à nos yeux, l’un des moyens les plus 
puissans d’écarter les obstacles qui s’opposent à 
la propagation de l’instruction populaire. 

Ce qu’il importe le plus de faire aujourd’hui , 
c’est de détruire les préjugés qui se sont propagés 
contre l’étude des sciences, de signaler les vices 
des méthodes suivies actuellement dans l’enseigne- 
ment, et qui sont la source de la défaveur et des 
nombreux reproches encourus par les savans ; 
enfin , d’indiquer les moyens d’écarter ces obsta- 
cles, qui s’opposent encore aux progrès de l’in- 
dustrie et des sciences elles-mêmes. 

Nous voulons cependant éviter, autant qu’il nous 
sera possible, de blâmer ce qui était et ce qui sub- 
siste encore : rien de durable ne peut être fondé, si 
l’on ne sait comprendre ce qui fut, et en tirer parti. 


Au lieu d’attaquer directement l’instruction 
publique dans toutes ses parties , l’éducation pri- 
maire , l’éducation collégiale, le régime et la rou- 
tine de nos quatre Facultés, nous nous occuperons 
uniquement des instituts que l’on peut créer à 
côté des anciens , parce que la société les réclame, 
parce que rien actuellement ne répond aux be- 
soins qu’ils doivent satisfaire. 

Quand on aura fait des essais dans ce genre , 
quand ces instituts nouveaux auront versé dans 
le monde actif un grand nombre d’hommes plus 
en harmonie avec le but actuel de la société , il 
sera plus facile de reconnaître les modifications à 
apporter dans les autres branches de l’enseigne- 
ment ou de l’éducation. Suivre cette marche, c’est 
interroger l’expérience, avant de perfectionner ; 
c’est donner de nouveaux points d’appui à l’édi- 
fice social , avant de toucher à ceux qui menacent 
ruine. - 

Jusqu’ici les auteurs des traités sur l’éducation 
ont cru devoir prendre l’homme au berceau, et le 
suivre d’âge en âge jusqu’à son entrée dans le 
monde. Ceux qui veulent suivre une marche ana- 
logue dans la réforme de l’éducation nationale, 
en s’occupant d’abord de l’instruction populaire , 
de l’éducation morale, des écoles primaires, en- 
suite des collèges, des universités, des écoles cen- 
trales , enfin des écoles spéciales ou d’application , 
tentent, suivant nous, l’impossible. Plus l’objet 


( 8 ) 

de leurs premières réformes est éloigné du som- 
met de la hiérarchie sociale , plus ils éprouvent de 
résistances de la part des masses supérieures à 
celles qu’ils veulent mettre en mouvement. 

Il nous semble plus rationnel et beaucoup plus 
efficace de prendre d’abord l’homme incomplet 
sorti de nos collèges , où il fait encore ses études 
à très peu près comme les faisaient nos pères , et 
de compléter son éducation en la mettant en har- 
monie avec les besoins nouveaux. 

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Nous le répétons encore, afin que le lecteur 
comprenne clairement le but et les limites de 
notre ouvrage : en attirant ainsi ceux qui sont à la 
tête de la société, dans la direction qu’elle doit 
suivre , le mouvement des masses inférieures s’é- 
tablira de proche en proche ; leur propre inertie 
sera la seule résistance à vaincre; elle ne sera plus 
fortifiée par la pression et les mouvemens con- 
traires des masses supérieures. C’est alors aussi 
que l’on recueillera le fruit des efforts tentés au- 
jourd’hui pour la propagation de l’instruction po- 
pulaire ; efforts qui, du moins, auront préparé 
le terrain pour le moment où , sous l’influence 
d’une organisation sociale plus développée, il sera 
possible de l’ensemencer et de le féconder. 

La tâche que nous nous sommes imposée nous 
paraît maintenant suffisamment définie. Avons- 
nous les moyens nécessaires pour la remplir d’une 
manière satisfaisante? pouvons -nous élever une 


( ® ) 

voix écoutée sur un sujet qui intéresse aussi 
vivement l’avenir de la France? nous ne le pen- 
sons pas ; mais nous avons l’espoir d’appeler sur 

ce terrain de plus hautes capacités ; et ne fissions- 

, t » » _ 

nous qu’ouvrir une discussion importante par la 
critique que nos opinions pourront soulever, nous 
croirions avoir fait une chose utile et opportune. 

C’est pour appeler cette critique que nous nous 
rendrons coupables , en apparence, du péché d’or- 
gueil et de vanité : nous formulerons d’une ma- 
nière nette, tranchée, doctorale meme, les opi- 
nions auxquelles la discussion nous aura conduits. 
Quand nous serons forcés de prendre l’arme de 
la critique, nous frapperons sans trop de ména- 
gemens sur ce qui ne nous paraîtra pas bien. 
Enoncées avec la réserve qu’exigeraient peut-être 
notre savoir et notre position , nos idées glisse- 
raient inaperçues; lancées de manière à contrarier 
certaines notabilités susceptibles, elles pourront 
les forcer à venir éclairer le public sur les matières 
que nous n’aurons traitées qu’imparfaitement. 

Nous ne faisons aucune citation dans cet ou- 
vrage. Outre les idées qui nous sont propres , nous 
en émettons d’autres qui appartiennent à tout le 
monde ; soit parce qu’elles sont tellement vraies , 
tellement à l’ordre du jour, qu’elles se présentent 
d’elies-mêmes à toute personne qui réfléchit sur 
le sujet qui nous occupe; soit parce qu’émises par 
un esprit plus inspiré, plus pénétrant que le com- 


( 10 ) 

mua des hommes, leur grande valeur les ait fait 
circuler avec une grande rapidité, et les ait enra- 
cinées si profondément dans les têtes pensantes , 
que chacun puisse croire être né avec elles , ou 
même, l’amour-propre aidant, les avoir inventées. 


PLAN D’ÉCOLES 

GÉNÉRALE ET SPÉCIALES 


POUR 

» 

L’AGRICULTURE, L’INDUSTRIE MANUFACTURIÈRE, 
LE COMMERCE ET L’ADMINISTRATION. 


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CHAPITRE PREMIER. 

V ues générales sur l’Instruction publique. — Considérations 
physiologiques. — Nécessité de créer de nouvelles Écoles 
spéciales. — De la liberté dans l’Enseignement. 


Personne ne doute qu’une réforme complète de 
l’éducation, en France, ne soit devenue indispen- 
sable. Son défaut d’harmonie avec nos nouvelles 
institutions a frappé les yeux les moins clair- 
voyans. Parmi ceux qui ont reçu une éducation 
dite libérale , combien peu n’ont pas regretté les 
nombreuses années passées à l’étude du grec et 
du latin! Combien, au contraire, eussent donné 


. • ( 12 ) . 

volontiers une connaissance approfondie des lan- 
gues anciennes en échange de quelque facilité à 
parler ou à lire les langues de nos voisins. 

Nous ne nous appesentirons pas sur ce reproche' 
banal à l’éducation de nos collèges ; tout fondé 
qu’il soit, il est resté jusqu’ici sans efficacité : on 
ne parviendra à déraciner cette habitude suran- 
née , qu’en commençant par réformer les. études 
les plus récemment introduites dans l’éducation 
générale. 

Que quelque hardi novateur crée un établisse- 
ment où l’enfance soit élevée loin des langues 
mortes , où l’on enseigne à fond le français , l’an- 
glais, l’allemand, l’italien, l’espagnol; où l’histoire 
des peuples et de leur civilisation accompagne celle 
des rois et de leurs conquêtes ; où la géographie 
statistique et physique apprenne les mœurs , les 
habitudes , les besoins , les ressources et les rela- 
tions mutuelles des habitans du globe ; où toutes 
les sciences naturelles servent d’aliment à la mé- 
moire du jeune âge, si fraîche, si puissante, si 
avide de faits et d’objets nouveaux; où le dessin 
linéaire et le calcul forment une introduction aux 
études plus sérieuses de l’âge de raison ; où la gym- 
nastique vienne seconder la nature, enseigner 
l’adresse et guider le courage; où la musique 
même soit un objet d’études suivies, pour retenir 
ou régulariser l’essor des passions et des sentimens 
naissans ; les résultats que ne peut manquer de 


( *3 ) 

produire , en peu d’années , le premier essai d’un 
établissement de ce genre , dirigé par une main 
habile , fera bientôt crouler le système des études 
de nos collèges , et reléguera l’enseignement des 
langues mortes dans des écoles spéciales desti- 
nées^ former les sa vans et les hommes que la 
société chargera d’élaborer les nombreux maté- 
riaux du passé. ; 

Quant à l’éducation générale, elle ne doit se 
composer que des objets dont Futilité peut se faire 
sentir toute la vie , dans quelque condition que 
l’on soit ; il faut en rejeter tout ce qui doit un jour 
être oublié, comme n’ayant aucun but pour la 
plupart des hommes. Ces principes , ou plutôt ces * 
axiomes, tout évidens qu’ils soient, sont cepen- 
dant méconnus à chaque instant dans le cours d’é- 
tudes des collèges. 

Rien ne prouve mieux le peu d’harmonie de l’é- 
ducation générale avec les institutions et les mœurs 
de notre société, que le renversement que l’on re- 
marque si souvent dans le mérite relatif d’un 
grand nombre de condisciples, quand on les suit 
depuis leur lutte au collège jusqu’à leur entier 
établissement dans le monde. Tel d’entre eux, 
sorti de ces études scolastiques chargé de prix et 
de couronnes , mène une vie ignorée et impuis- 
sante , et reste tout au plus capable de bien 
montrer les connaissances peu utiles qu’il a si bien 
acquises. Tel autre, au contraire, dont le mérite 


( * 4 ) 

adolescent ne s’était pas même élevé jusqu’à obte- 
nir l’humble accessit , se développe au sein de la 
société , y puise l’éducation qui lui convient , et 
agit énergiquement sur les progrès des lettres, 
des sciences et des arts. 

Et cette inutilité flagrante de l’objet principal 
de l’éducation , jusqu’à dix-huit ans et plus, réagit 
pour prolonger la durée d’un état de choses aussi 
vicieux. Lorsqu’un jeune homme , sorti des classes, 
se trouve obligé de gagner sa vie , soit parce que 
ses parens sont hors d’état de l’entretenir pendant 
les trois ou quatre ans qu’il lui faudrait encore 
pour faire son droit, ou pour étudier la médecine, 
'ou pour faire l’apprentissage de toute autre car- 
rière ; soit parce que des passions précoces lui ont 
fait secouer le joug paternel, qu’a-fc-il appris qu’il 
puisse mettre à profit ? Rien , si ce n’est le grec et 
le latin. Il entre donc dans la carrière de l’instruc- 
tion. Essayez de lui prouver maintenant que ce 
qu’il enseigne est inutile dans la société, dont il 
ne connaît pas les besoins, et à laquelle il est resté 
si étranger! 

Mais pour réformer convenablement l’éducation 
générale , il nous paraît nécessaire que la physio- 
logie ait fait de plus grands progrès. Si , comme un 
grand nombre de faits incontestables semblent 
l’indiquer , les hommes ne naissent pas tous avec 
les mêmes aptitudes ; si les facultés différentes de 
l’intelligence humaine se- développent à des âges 


• ( 15 ) 

. différens, il faudra diriger les études élémentaires 
de manière à faire ressortir les capacités natu- 
relles et spéciales de chaque individu ; il faudra 
régler l’ordre de leur succession suivant l’âge, la 
précocité, et meme la santé des élèves. Or on con- 
çoit qu’avant de prononcer quelque chose de po- 
sitif en pareille matière i il faut que l’expérience et 
l’ohservation soient consultées avec soin dans ce 
but important. 

Par exemple, il paraît démontré, par de nom- 
breuses observations, que l’âge où la faculté du 
raisonnement acquiert de la justesse et de l’acti- 
vité , est moyennement celui de seize à dix-sept 
ans. Vouloir fonder un système d’études élémen- 
taires sur] le raisonnement , avant que l’élève ait 
atteint cet âge, c’est ou lui parler une langue in- 
connue qu’il ne saurait comprendre, ou forcer la 
nature à porter chez lui des fruits prématurés, et 
qui ne peuvent être que nuisibles à sa santé, ou 
au moins au succès de son éducation future; car, 
le plus souvent, l’organisation résiste à cette espèce 
de culture en serre-chaude, et l’élève ne retient 
de cette étude forcée qu’un dégoût invincible pour 
un aliment qui ne lui convenait pas encore, et qui 
le lui fait souvent repousser quand la nature est 
prête à le recevoir. Les sujets d’une précocité ex- 
traordinaire qui apparaissent de temps en temps , 
et qui semblent démentir ce que nous venons d’a- 
vancer, sont presque toujours maladifs, et en 


( 16 ) 

quelque sorte plus vieux que leur âge ne l’indique; 
ils sont ordinairement enlevés par une mort pré- 
maturée, ou bien, parvenus à un âge mûr, ils 
deviennent très médiocres sur le sujet même qui 
avait fait leur réputation. 

. Si les faits que nous venons d’avancer étaient 
reconnus généralement vrais par les physiolo- 
gistes; si leur science, dirigée vers ce genre d’ex- 
ploration , leur permettait d’assigner un jour le 
nombre et le genre des facultés ou des aptitudes 
que la nature développe généralement et partiel- 
lement chez les hommes, il faudrait alors renon- 
cer à l’habitude de fixer d’avance la carrière qu’un 
enfant doit parcourir. Si notre croyance se véri- 
fiait, la nature l’aurait tracée elle-même, et l’é- 
ducation aurait pour tâche d’aider et de régula- 
riser cette disposition organique (*). 


(*) Deux d’entre nous ont passé plusieurs années au ser- 
vice d'une puissance étrangère ; ils étaient principalement 
chargés de professer dans une école destinée à former des 
ingénieurs , et dont te cours d’études , complété en six 
années , comprenait à la fois les mathématiques élémen- 
taires et spéciales , les cours de notre École Polytechnique, 
et ceux de l’École des Ponts-et-Cliaussées. Là ils ont suivi 
et dirigé le développement de l’intelligence de plus de six 
cents élèves, depuis leur introduction dans l’école jus- 
qu’à leur sortie dans le corps des ingénieurs, qui y re- 
crutait ses membres. Us ont même eu l’occasion de suivre 


( <7 ) 

% 

Heureusement pour nous, l’objet particulier 
que nous avons à traiter n’exige pas la solution 
préalable des importantes questions que nous ve- 


encore plus long-temps leurs travaux et leurs progrès, 
étant membres d’une commission chargée d’examiner les 
projets de construction qui arrivaient à l’administration 
de tous les points de l’empire. Leurs observations sur l’ap- 
titude générale de la nation à apprendre et à cultiver les 
sciences , leur a offert une régularité remarquable , qu’il 
nous paraît important de signaler ici. 

Un tiers environ des sujets qui entraient dans l’école, 
librement et sans examen , suivait d’abord avec profit le 
cours des études, et comprenait même avec beaucoup plus 
de rapidité les élémens des sciences , que le premier tiers 
des élèves en Mathématiques spéciales de nos collèges. 
Arrivés aux Mathématiques transcendantes, le progrès de 
la presque totalité d’entre eux s’arrêtait tout-à-coup, 
de manière à désespérer tous les efforts de leurs profes- 
seurs, qui ne pouvaient que les forcer à apprendre par 
cœur des séries de calculs et de formules dont ils ne 
comprenaient ni le sens ni l’étendue ; et , chose singu- 
lière, un grand nombre de ces jeunes gens étaient persua- 
dés avoir atteint les limites de la science. Un très petit 
nombre de sujets de race douteuse ont paru comprendre 
tout ce qui faisait partie des cours ; mais bien rarement 
on a pu les surprendre émettant une idée nouvelle , 
s’essayant à résoudre un problème , à simplifier une 
formule. Quant aux individus de race étrangère qui se 
trouvaient mélangés avec les nationaux , leur intelligence 
avait un tout autre caractère dans son développement et 
son étendue; à sa marche lente mais continue, on eût pu 

2 


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( 18 ) 

lions (le soulever : nous ne considérons que le 
genre d’études qui doit suivre l’éducation géné- 
rale, et qui a pour objet de former spécialement 


reconnaître que ceux qui la possédaient n’étaient pas de la 
nation , si leur nom avait pu inspirer quelque doute à 
cet égard. 

Mais dans les sciences d’application, dans le cours de 
construction , par exemple, les nationaux reprenaient leur 
marche rapide et progressive. Un grand nombre d’entre 
eux atteignaient , surtout dans l’art du dessin linéaire , un 
degré de perfection extraordinaire, et nous doutons que 
nos élèves des Ponts-et-Chaussées pussent jouter avec eux 
sur cette partie. 

Devenus ingénieurs , les élèves qui avaient brillé dans 
l’étude des sciences d’application montraient tout le savoir 
et toute l’activité désirables. Nous en avons vu diriger 
d’immenses travaux et de grandes masses d’ouvriers avec 
un aplomb et une facilité que nous n’avons retrouvés 
qu’en France. Mais si pour exécuter des projets donnés, 
un pont, une écluse, un barrage , ils pouvaient égaler nos 
ingénieurs français , nous avons tout lieu de douter qu’ils 
eussent pu concevoir un ouvrage d’un genre nouveau. IL 
est vrai que les détails d’une masse de papiers , d’écri- 
tures , de devis minutieux et de comptes-rendus , absor- 
baient tellement tout leur temps , qu’il ne leur en restait 
guère pour s’occuper de leur art. 

Or cette aptitude à comprendre très facilement les élé- 
mens d’une science, cette difficulté de passer au-delà 
d’une limite assez rapprochée, cette inhabilité à créer du 
nouveau, ce talent d’imitatiou et d’exécution , se retrou- 
vent dans cette nation pour tous les modes d’activité de 


I 


( «9 ) 

des industriels ; nous cherchons sur quelles bases 
leur enseignement doit reposer pour être le plus 
efficace possible. Nous supposons enfin qu’à l’âge 
où un jeune homme pourrait se lancer dans cette 
carrière , et consacrer son temps à en faire l’ap- 
prentissage, ses goûts et ses dispositions naturelles 
se seraient prononcés de manière à lui faire pren- 
dre une autre route, s’il avait pour celle-ci une 
répugnance invincible. 

L’absence de toute éducation professionnelle 
chez un jeune homme qui sort du collège, la lon- 
gueur des études exigées dans le petit nombre de 
carrières qu’il peut parcourir, et qui est souvent 
telle , qu’il atteint vingt-quatre ans avant d’avoir 
un état, ont une influence plus étendue qu’on 
ne l’imagine , sur les mœurs et la tranquillité pu- 
bliques. L’impatience et l’activité d’esprit qui ac- 


l’intelligence humaine. C’est la conclusion generale de tous 
ceux qui l’ont e'tudiée avec soin. 

Et la nôtre, à la suite d’un épisode qui pourrait paraître 
étranger au sujet que nous traitons, si nous ne nous hâtions 
d’en tirer une, c’est que, si chaque nation a des apti- 
tudes aussi nettement tranchées , si le domaine de son in- 
telligence a des limites aussi fixes, il faut étudier son 
caractère physiologique avant de prononcer sur le sys- 
tème définitif de ses institutions , et aussi qu’il faut étu- 
dier les dispositions naturelles de chaque individu, pour 
assigner le genre d’éducation qui lui convient. 

2.. 


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( 20 ) 

compagnent l’âge des passions , peuvent pousser 
l’homme à de grandes choses , quand il a le pou- 
voir d’agir; mais si son énergie se trouve arrêtée 
par les obstacles que présentent une profession 
encombrée , dont l’apprentissage est long et diffi- 
cile , il est rare qu’elle ne dévie pas, et qu’elle ne 
serve pas surtout à alimenter les troubles poli- 
tiques. 

Augmenter le nombre des professions que peut 
embrasser un jeune homme ayant reçu une ins- 
truction libérale, et diminuer ainsi l’encombre- 
ment qui ralentit son essor ; introduire dans l’é- 
ducation générale et première un enseignement 
utile qui diminue et simplifie l’instruction spé- 
ciale de chaque profession ; tout disposer enfin pour 
qu’à vingt - un ans un jeune homme puisse avoir 
dans la hiérarchie sociale une place déterminée, et 
devant lui un avenir brillant , si sa bonne conduite 
et ses talens secondent son ambition ; ce serait , 
suivant nous, agir efficacement pour diminuer 
les attaques continuelles que le gonvernement 
éprouve de la part de la presse, principalement 
alimentée par de jeunes talens qui souvent n’ont 
d’autres moyens d’existence que de faire de l’op- 
position. 

Les écoles spéciales qui existent aujourd’hui , 
les seules dans lesquelles la jeunesse puisse pren- 
dre les données nécessaires pour suivre un état 
déterminé, se réduisent à quatre ou cinq. Elles 


( 2 < ) 

peuvent former des avocats, des médecins, des pro- 
fesseurs ou des prêtres. Jetons maintenant un coup 
d’œil sur la société, nous y voyons en outre des 
chefs d’industrie de mille espèces différentes, des 
agriculteurs , des négocians, des banquiers, des 
administrateurs; où sont les écoles profession- 
nelles qui les forment? N’auraient-ils besoin d’au- 
cune étude spéciale pour remplir convenablement 
leurs importantes fonctions? il faut en convenir, 
les quatre Facultés ne suffisent plus aux besoins 
généraux actuels. 

Comment sont recrutées les professions aux- 
quelles ne correspond aucune école spéciale ? ra- 
rement par des hommes qui ont fait eux-mêmes 
leur éducation professionnelle, guidés par une sorte 
d’instinct vers la carrière que la nature leur avait 
tracée; le plus souvent par des hommes qui ne 
possèdent qu’une aveugle routine, et qui croient 
pour la plupart que le savoir est inutile, puisqu’ils 
réussissent sans lui. Aussi voyez l’état stationnaire 
et rétrograde dans lequel ils laissent les branches 
de l’œuvre sociale qu’ils dirigent! A voir l’indiffé- 
rence et même le dédain avec lesquels ils accueil- 
lent les découvertes les plus utiles, pourrait-on 
croire que c’est pour eux que les sciences se per^ 
fectionnent ? 

Et cependant quel élan ne donneraient- ils pas 
à notre civilisation , si ces mêmes hommes avaient 
suivi des études sérieuses dans les sciences , et si ' 


( 22 ) 

elles leur avaient été enseignées sous le point 
de vue de l’application qu’ils pourraient en faire ! 

C’est ici le lieu de donner notre opinion sur 
la question tant controversée de la liberté de l’en- 
seignement ? est-il convenable, est-il utile que le 
gouvernement ait la direction suprême de l’ins- 
truction ; qu’il puisse donner ou refuser le droit 
d’enseigner? Voilà la question à laquelle il s’agit 
de répondre. 

Si à la tête du gouvernement se trouvaient tou- 
jours les gens les plus capables de conduire notre 
nation , qui connussent le mieux tous ses besoins 
actuels, les moyens de les satisfaire, et l’avenir 
vers lequel marche notre civilisation ; enfin qui , 
constamment animés de l’amour de la patrie , 
fussent toujours prêts à sacrifier leur intérêt per- 

t 

sonnel , quand le bien de l’Etat l’exigerait; élevé 
sous une administration aussi paternelle , tout 
homme consciencieux et raisonnable répondrait 
certainement par l’affirmative à la question posée. 

Le gouvernement actuel , comparé à ce type de 
perfection, impossible de nos jours, est sans doute 
fort incomplet; mais il est forcément dirigé dans 
ses actes par quelque chose de plus puissant que 
lui , par l’opinion publique, sentinelle vigilante 
qui ne lui laisserait pas la faculté d’abuser de son 
pouvoir pour élever la génération naissante dans 
un but anti-national. Il sent lui-même ce qu’une 
pareille pensée aurait de mortel pour lui. Eh bien, 


( 23 ) 

confians dans cette garantie, nous ne craignons 
pas d’avancer que le régime universitaire, tout 
imparfait qu’il est, nous paraît préférable à la 
liberté absolue de l’enseignement, ou plutôt à 
l’anarchie dans l’enseignement. 

Pour qu’il y ait harmonie entre les Français de 
toutes les classes, de toutes les provinces , il faut 
qu’ils soient, autant que possible, élevés d’une 
manière analogue. Or il n’y a d’autre moyen d’at- 
teindre un but aussi difficile, au milieu d’une po- 
pulation encore si hétérogène , passionnée par des 
opinions et des sentimens si divergens , que de 
centraliser la direction de l’éducation entre les 
mains du gouvernement. 

Nous ne pouvons cependant pas nous dissimuler 
la tendance stationnaire des institutions qui lui 
sont confiées: ses agens se laissent aller trop aisé- 
ment à l’idée que leurs traitemens sont des pro- 
priétés inaliénables, et non la condition et le prix 
d’un travail; ils songent peu à améliorer; toute 
émulation s’éteint, toute idée nouvelle est re- 
poussée. Mais il nous semble qu’il est un moyen 
de concilier les avantages de la centralisation et 
de l’uniformité dans l’instruction publique, avec la 
nécessité d’une marche progressive : ce serait de 
confier au gouvernement tous les moyens néces- 
saires pour établir, sur l’échelle la plus large, un 
système complet d’instruction publique; de le 
mettre à meme de rétribuer convenablement les 


( 24 ) 

hommes qui consacrent leur vie à transmettre , 
d’une génération à l’autre, les trésors accumulés 
par le génie et l’expérience des temps passés ; 
d’ouvrir aux jeunes gens qui se seront distingués 
dans leurs études, une carrière honorable et de 
nature à satisfaire leur juste ambition ; mais aussi , 
en dehors de ces grandes institutions nationales , 
de laisser à tout homme le droit de former des 
établissemens d’éducation sur un tout autre sys- 
tème qu’il croira meilleur. Le public sera juge; le 
gouvernement sera ainsi contraint de rechercher 
et d’admettre toutes les améliorations bien cons- 
tatées qu’auront amenées les progrès des temps, 
sous peine de voir la jeunesse déserter ses écoles 
pour celles de quelque habile novateur. Nous pen- 
sons que ce stimulant sera encore long-temps né- 
cessaire pour contraindre l’administration de se 
mettre à la tête des idées , au lieu de se traîner péni- 
blement à la remorque. L’Université actuelle porte 
encore trop de traces de cette fâcheuse insouciance , 
de cet esprit de routine, auxquels les corps consti- 
tués sous le patronage du gouvernement ont une 
tendance fatale à s’abandonner ; mais quelles que 
soient les imperfections , les minuties dans les lois 
qui régissent l’instruction publique; les inutilités, 
les incapacités dans la hiérarchie de nos Facultés et 
de nos Universités; la mauvaise assiette des impôts 
qui pèsent sur les étudians et sur les maisons d’é- 
ducation; ces questions de détail n’entrent pas dans 


( 25 ) 

notre plan, et le temps en amènera la solution. 
Mais nous avons un autre reproche bien plus im- 
portant à faire au système général de l’instruction 
publique , c’est de n’être pas assez étendu. Nous 
pensons que l’agriculture, l’industrie, le com- 
merce , l’administration , feraient beaucoup plus 
de progrès en France, satisferaient mieux les be- 
soins de notre société , assureraient d’une manière 
plus certaine le bien-être des nombreuses masses 
d’hommes qui s’en occupent, s’ils avaient aussi 
leurs Facultés, s’il était possible d’exiger un di- 
plôme de capacité pour être fermier, chef d’indus- 
trie, négociant ou administrateur, comme pour 
être aujourd’hui médecin, professeur ou ecclé- 
siastique. 

Nous sommes convaincus qu’une organisation 
nouvelle sur cet objet important, bien faite, bien 
dirigée , réduirait de beaucoup le nombre des fail- 
lites, remédierait aux inconvéniens et à l’immora- 
lité de la concurrence, et agirait puissamment 
pour diminuer la misère du peuple. 

Quelque étrange que puisse paraître, au premier 
abord , le système que nous proposons , et qui est 
destiné à satisfaire les besoins sociaux que nous 
venons de signaler, nous croyons avoir suffisam- 
ment prouvé dans le cours de cet ouvrage , et son 
utilité , et la possibilité de l’appliquer à l’époque 
actuelle. 

Nous voici encore une fois en opposition directe 


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( ) 

avec le principe tant prôné par les économistes, 
et dont la formule est : Laissez faire , laissez passer . 
Mais ce principe, qui pouvait avoir une grande 
valeur à l’époque où les gouvernails étaient 
persuadés que le peuple était fait pour eux, est 
faux et pernicieux aujourd’hui que le gouverne- 
ment n’est et ne peut être que celui qui convient 
au peuple. 

Notre nation a brisé les fers, dont on la garrot- 
tait; elle a dispersé les castes privilégiées qui 
prétendaient l’exploiter selon leur bon plaisir ; 
elle a détruit tout ce qui appartenait à cet ancien 
ordre de choses; rien n’en subsiste plus, que la 
haine et l’indignation qu’il a excitées. Mais après 
avoir complété son émancipation, il lui reste à 
édifier, à réorganiser; et, pour cela, il lui faut 
adopter de tout autres principes que ceux qui lui 
ont servi à renverser, à détruire. 

Il lui faut d’abord choisir entre n’être pas gou- 
vernée du tout , ou être bien gouvernée. D’un 
côté, elle doit craindre l’anarchie, la séparation 
des provinces, si différentes d’opinions, de carac- 
tères , et même de civilisation ; l’envahissement de 
l’Étranger, le partage , et enfin la destruction. . 

De l’autre , peut-elle craindre l’abus du pouvoir 
de la part de ceux à qui elle confiera son sort ? 
n’a-t-elle pas encore en main le fouet sanglant 
des révolutions, avec lequel elle a châtié si récem- 
ment ceux qui l’ont trahie ? Qu’elle examine l’état 


( 27 ) 

ou son reste de colère a mis ses nouveaux gou- 
vernans : cë- n’est plus le désir d’accumuler du 
pouvoir qui les domine; loin de là, au con- 
traire, ils craignent d’en trop avoir, ils repous- 
sent celui qu’on leur offre. 

S’ils restent inactifs, la nation est perdue : car 
il est impossible de nier que le bien-être et la 
tranquillité intérieure d’une masse de trente-deux 
millions d’hommes, répandue sur un vaste terri- 
toire, ne dépendent de l’unité, de l’ensemble, de 
la convergence qu’ils mettent dans leurs travaux. Or 
ces résultats ne peuvent être obtenus que par un 
gouvernement centrai, fort, énergique, étendu 
sur toutes les sources de la prospérité publique ; 
qui les protège, les féconde , les harmonise en 
quelque sorte. 

Le devoir de la presse , lors de la destruction , 
pouvait être d’arracher pièce à pièce le pouvoir 
aux mains indignes qui le possédaient. Aujour- 
d’hui que l’œuvre de la réorganisation doit com- 
mencer , elle a une mission tout opposée à rem- 
plir; c’est d’indiquer au nouveau gouvernement 
le pouvoir qu’il doit prendre, de le lui offrir en 
quelque sorte , s’il n’ose y toucher. Avec l’égalité 
de tous devant la loi , notre jury, notre loi électo- 
rale, notre système municipal , quelque incom- 
plètes que soient ces institutions ; avec la liberté 
de la presse, qu’aucun pouvoir humain ne saurait 
maintenant nous arracher; avec cette responsabi- 


( 28 ) 

lité des ministres, dont les prisonniers de liant 
constatent l’existence , la presse ne serait-elle pas 
insensée, pusillanime, de craindre encore les abus 
de l’autorité? 

C’est ainsi qu’après avoir prouvé, dans notre 
première publication , que le gouvernement devait 
et pouvait , en accordant des primes convenables à 
des compagnies exécutantes, enrichir la France du 
vaste système de communications intérieures qui 
lui manque , nous voulons faire voir aujourd’hui , 
qu’en modifiant l’éducation nationale, en étendant 
sa tutelle protectrice sur un plus grand nombre de 
professions , il peut enraciner profondément dans 
l’avenir l’œuvre de notre rénovation sociale , et 
donner des fondemens inébranlables à la pros- 
périté de notre patrie. 


( 29 ) 


\ 


\ W\ V\VW VVViWWXAM w w WWWW^WAWW w *vw w 


CHAPITRE II. 

Idée première d’une École générale. — Professions qui réclament 
des Écoles spéciales. — École générale à créer. — Conditions 
d’admission. * 


C’est une des grandes idées enfantées par notre 
révolution , que la création d’une école centrale 
où tous les hommes destinés à remplir des fonc- 
tions différentes devaient recevoir une première 
instruction professionnelle, commune, utile à 
tous, harmonieusement combinée, avant de se 
distribuer dans des écoles d’application, où chaque 
service public était caractérisé par un cours d’é- 
tudes d’une spécialité plus prononcée. 

Cette belle institution fut presque restreinte , 
sous l’empire , à la seule carrière militaire. L’artil- 
lerie et le génie , qui n’avaient qu’une meme école 
d’application, recueillirent la presque totalité des 
élèves sortis de l’école centrale, qui perdit ainsi 
son caractère fondamental. Le corps des ponts- 
et-chaussées parvint cependant à y recruter ses 
membres ; mais souvent l’ingénieur civil fut obligé 
d’endosser l’habit militaire, pour aller remplir les 


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( 30 ) 

fonctions de l’officier du génie. Nous ne parlons 
pas du petit nombre d’élus qui échappèrent pres- 
que par surprise , et de loin en loin , à cette direct 
tion unique, pour alimenter le corps des mines 
ou celui des constructions maritimes, si peu nom- 
breux et cependant si utiles. 

Sans doute, sous la Restauration, les élèves de 
l’École Polytechnique furent distribués plus éga- 
lement dans les différens services; mais l’origine 
révolutionnaire de cette institution , et le système 
d’égalité qui lui servait de base , et qui fermait à 
l’intrigue ou à la faveur l’entrée des corps spéciaux 
qu’elle alimentait, là mirent souvent en danger 
de destruction. 

Aujourd’hui que tous ces obstables n’existent 
plus, il est permis de s’étonner qu’on ne revienne 
pas à l’idée primitive de l’école centrale, si libé- 
rale, si vraie , si conforme à cet esprit de concorde 
et d’association qui peut seul donner de l’en- 
semble aux travaux d’une nation libre et civi- 
lisée. 

Les besoins de l’époque ne sont plus les mêmes. 
Ce n’est plus seulement des officiers d’artillerie et 
du génie, ni même seulement des ingénieurs des 
ponts-et-chausséés , que l’école centrale doit don- 
ner à la société; il faut qu’elle lui prépaie des 
agriculteurs , des chefs d’industrie , des négociant , 
des administrateurs; tous ont besoin d’y puiser 
une instruction commune , concordante. 


( 31 ) 

Il faut maintenant verser dans la société des 
hommes instruits qui s’intéressent à la paix et à 
la tranquillité, parce qu’elles leur seront indis- 
pensables pour utiliser leurs talens. Il faut se 
hâter de corriger des institutions constituées pour 
la guerre seule, élevant avec soin des hommes 
qui sont intéressés à ce que la France se jette en- 
core dans la carrière des combats , ou qui doivent 
se dévouer à l’inaction et à l’obscurité , si leur pa- 
triotisme leur indique que tel ne doit pas être le 
vœu de la nation. 

Toutes les personnes qui ont parcouru les cam- 
pagnes de l’Angleterre et de la France sont frap- 
pées de la 'différence qui existe entre les états de 
l’agriculture dans ces deux pays. 

Là des propriétés , pour la plupart étendues , 
sont dirigées par des fermiers inteiligens et ins- 
truits ; l’étendue du but et des moyens permet 
l’emploi de moteurs, de machines dont les frais 
de premier établissement, si coûteux qu’ils soient, 
sont largement couverts par l’économie qu’ils pro- 
curent; l’abondance, la bonté, l’uniformité des 
produits , sont les conséquences de ce mode d’ex- 
ploitation : d’immenses sacrifices peuvent être faits 
pour améliorer le sol , pour parquer et nourrir 
les bestiaux , pour acclimater des plantes et des 
arbustes étrangers , pour des irrigations, pour des 
clôtures, pour la construction de chemins vici- 
naux , de routes et même de canaux, dont le but 


' ( 32 ) . 

est de donner un débouché facile aux produits de 
l’agriculture , ou de faire arriver facilement les 
engrais et les matériaux qu’elle emploie. . 

Ici les pièces de terre, pour la plupart divisées, 
sont exploitées par des fermiers ignorans, ou par 
des propriétaires pauvres et désunis , chez lesquels 
la routine et le défaut de moyens pécuniaires s’op- 
posent à l’introduction des procédés économiques 
et perfectionnés : aucune précaution ne peut être 
prise pour remédier à la sécheresse, à l’âpreté 
ou à la paresse du sol, ou pour abriter suffisam- 
ment les bestiaux ; la famine , la mauvaise qualité 
et l’hétérogénéité des produits; l’abandon des 
terres qui exigeraient des sacrifices pour être 
mises en valeur, les épizooties, l’abrutissement, 
la misère et la mortalité de la population agri- 
cole, sont les conséquences désastreuses de ce 
mode d’exploitation; peu de clôtures, point d’ir- 
rigations, des chemins vicinaux impraticables, des 
débouchés nuis , lents ou incertains , des engrais 
chers et difficiles à se procurer. 

N’existe-t-il pas de moyens de tirer l’agriculture 
française de l’état déplorable dans lequel elle se 
trouve ? 

Ici se présente la question de la grande et de 
la petite culture. L’un et l’autre système ont été 
préconisés exclusivement. Les partisans de la pre- 
mière ont fait valoir l’état prospère de l’agricul- 
ture de la Grande-Bretagne ; les défenseurs de la 


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I 


( 33 ) 

seconde se sont appuyés des progrès incontesta- 
bles qu’a faits ragriculture en France, depuis 
que la révolution a détruit les grandes propriétés. 
Nous pensons que la conclusion à tirer de cette 
controverse est qu’il existe un moyen de combiner 
les avantages de la petite culture, où le paysan, 
sûr de trouver un emploi utile de son temps en 
améliorations de sa propriété, ne vend son tra- 
vail qu’à de meilleures conditions, avec ceux de la 
grande culture, où des moyens mécaniques mieux 
entendus, une division du travail plus complète, 
des connaissances plus étendues dans le chef des 
travaux agricoles, permettent de recueillir plus de 
produits avec moins d’efforts. Ce moyen consiste 
à éclairer et à associer entre eux les petits pro- 
priétaires. 

Que le gouvernement encourage, favorise la 
création des fermes- modèles ; qu’il les multiplie 
lui -meme sur tout le territoire, au moyen des 
fonds du budget ( et quel emploi plus profitable 
pourrait-il en faire!); qu’il place à la tète de cha- 
cun de ces établissemens un homme ayant reçu 
une instruction spéciale, dont la mission sera d’ap- 
pliquer, sous les yeux de nos paysans, des moteurs 
économiques, des procédés de culture rationnels 
et efficaces ; de secourir les propriétaires et les 
fermiers voisins; de leur donner des plantes, des 
graines ; de leur indiquer les moyens d’en tirer 
parti; de leur prêter ses machines, ses chevaux , 

3 


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! 


( 34 ) 

ses charrues ; d’exciter et d’encourager parmi eux 
l’esprit d’association ; de les grouper en compa- 
gnies, dont il sera Taine et la ressource, pour en- 
treprendre des défrichemens , des travaux d’irri- 
gation, des chemins vicinaux, des routes, de 
vastes magasins, des bergeries , des pressoirs com- 
muns. 

Que ces hommes , indépendamment des garan- 
ties que donnent les épreuves par lesquelles ils 
auront passé, trouvent une partie ou la totalité 
du prix de leur travail dans le succès de l’exploi- 
tation qu’ils dirigent. En adoptant ce système, le 
gouvernement ne ferait que suivre la direction 
indiquée par un petit nombre de philantropes 
qui épuisent leurs talens et leur fortune à faire 
dans quelques localités ce qu’il devrait organiser 
partout; et l’agriculture française n’aurait rien à 
envier à l’Angleterre; et en peu d’années l’aisance, 
le savoir, la concorde et le bonheur relèveraient 
notre population agricole, si nombreuse et cepen- 
dant si oubliée. 

Voilà une oeuvre importante que la France at- 
tend de ceux qui se disputent le pouvoir. Ils ac- 
querraient ainsi le droit de conserver leurs places, 
et leurs noms seraient inscrits sur la liste immor- 
telle des bienfaiteurs de Thumanité. Non , il est 
impossible qu’un si grand bien ne soit pas bientôt 
à Tordre du jour. Et nous plaçons en tête des car- 
rières auxquelles notre école centrale devra four- 


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( 35 ) 

nir des sujets , celles de l’agriculteur, du directeur, 

* 

ou du sous - directeur d r une ferme - modèle telle 
que nous venons de la définir. 

Il existe en France beaucoup de directeurs de 
mines, de forges et de fonderies, d’ateliers, de 
fabriques et de manufactures. Sont-ils de vérita- 
bles chefs d’industrie ? ont-ils tous le savoir et la 
sagesse que réclament leurs fonctions ? Pourquoi 
tant de faillites, tant d’établissemens ruinés ou 
languissans ? Sans doute le manque ou l’imper- 
fection de nos voies de transport , l’incertitude de 
notre état politique, l’inconvénient d’une con- 
currence illimitée , occasionent ces destructions 
ou cette slagnation; mais une autre cause puis- 
sante s’ajoute à celles-là, plus cachée, moins fa- 
cile à saisir : c’est le défaut d’une éducation pro- 
fessionnelle, positive et variée, qui permette aux 
chefs de 4 nos industries d’apprécier les moyens 
dont ils disposent, le but qu’ils doivent remplir , 
l’étendue de leurs ressources et de leurs débou- 
chés , la valeur d’une découverte , d’une nouvelle 
machine , d’un nouveau procédé ; l’importance de 
l’expérience , et des perfectionnemens qu’elle 
amène à sa suite ; la limite des sacrifices qu’ils 
peuvent consacrer à faire des essais; l’économie 
et la bonté des produits qui naissent de la division 
du travail, de la régularité et de l’homogénéité 
d’un mode de fabrication. . 

Ces fonctions sont remplies pour la plupart par 


( 36 ) 

des ouvriers intelJigens qui s’élèvent au-dessus 
de leurs camarades , mais auxquels il manque d’a- 
voir vécu au milieu d’immenses ateliers , comme 
en Angleterre ; ou par des hommes que la né- 
cessité de faire valoir les richesses dont ils hé- 
ritent, pousse forcément dans une carrière pour 
laquelle ils ne se sentent aucune vocation; ou 
enfin par des hommes à qui la nature a donné 
une sorte de faculté de découvrir des procédés 
ingénieux, mais qui n’étant nourrie et dirigée par 
aucune instruction solide, ne les conduit qu’à 
compromettre leur fortune et celle des autres. 

Nous citerons un seul exemple qui fera sentir 
toute notre idée, et combien l’absence d'une 
bonne éducation professionnelle est funeste à l’in- 
dustrie. 

Le gouvernement français a eu besoin, à une 
certaine époque , de plusieurs bateaux à vapeur. 
Pour être plus sûr de remplir le but désiré , et en 
meme temps pour ne pas décourager l’industrie 
nationale , on se détermina à commander plusieurs 
machines à vapeur des nouveaux Pyroscaphes , 
dans des ateliers anglais ; d’autres furent deman- 
dées à des mécaniciens français. 

La commande faite en Angleterre a parfaite- 
ment réussi. Les directeurs des fabriques de ma- 
chines à vapeur auxquels on s’adressa, se conten- 
tèrent de donner à leurs chefs- ouvriers l’ordre 
de construire de& machines de la force désirée , 


( 37 ) 

et de prendre à cet effet , dans les magasins de 
modèles , des moules confectionnés depuis long- 
temps, pour faire fondre et façonner les diffé- 
rentes pièces des machines en question. Elles sor- 
tirent de ces ateliers toutes semblables à celles des 
mille bateaux à vapeur employés par la marine 
militaire , par le cabotage et le commerce de l’An- 
gleterre. Quand elles furent montées , elles pro- 
duisirent sans incertitude l’effet qu’on en atten - 
dait, et les bâtimens à vapeur qu’elles devaien 4 
faire mouvoir purent être mis de suite en activité. 
Et comment pouvait-il en être autrement ? tant 
d’essais tout-à-fait semblables avaient réussi ! tant 
de perfectionnemens indiqués par l’expérience 
avaient été apportés à la confection uniforme de 
ces machines ! 

Il n’en fut pas de même des machines com- 
mandées à nos mécaniciens. Flattés d’avoir été 
choisis dans cette circonstance , ils donnèrent un 
champ libre à leur faculté d’inventer ; ils voulu- 
rent faire du nouveau ; ils dédaignèrent de se 
traîner dans la voie routinière des Anglais: les ma- 
chines qu’ils firent construire ne ressemblaient à - 
aucune de celles construites jusqu’alors; les dis- 
positions plus ou moins ingénieuses qu’ils imagi- 
nèrent brillent de cet esprit inventif et aventureux 
qui appartient à notre nation. Mais, à part quel- 
ques succès contestés, qu’arriva-t-il en général ? 
c’est que leur invention , qui n’était qu’un 


( 58 ) 

essai , dont il était nécessaire que l'expérience 
mûrit tous les détails , donna lieu à des bateaux 
à vapeur qui marchèrent un peu , puis ren- 
trèrent au port pour être raccommodés , et finale- 
ment restèrent au ' rebus comme incapables de 
servir. 

Et il en sera toujours ainsi, tant que nos mé- 
caniciens ne sauront pas qu’un nouveau procédé , 
qu’une invention , ont besoin d’être travaillés 
par de longues et de nombreuses expériences, 
avant de donner tous les effets utiles qu’on en 
attend ; que, quand on est pressé, il est plus cer- 
tain de se servir d’un instrument éprouvé, que 
d’un autre plus ingénieux qui promet beaucoup 
plus , mais dont l’usage n’a pas encore réglé 
l’emploi. 

Quand on voit le petit nombre de machines à 
vapeur construites et employées en France ( par 
exemple, celles des abattoirs de Paris), presque 
toutes basées sur des principes différens et plus 
ou moins spirituels, mais aussi presque toutes hors 
d’état de donner toute la force qu’on s’en promet- 
tait; quand cependant on entend dire que tel 
ingénieur ou mécanicien vient d’élever une fa- 
brique de machines à vapeur imaginées par lui 
sur un principe nouveau, et qu’il prétend être 
plus économiques et plus parfaites que les autres , 
avant que l’expérience ait confirmé ses prévisions, 
on est forcé de conclure, qu’au moins dans cette 


( 59 ) 

partie, on ne se doute pas en France de ce que 
doit être un chef d’industrie (*). 

Eh bien , si nous voulions les examiner avec le 
même esprit de critique, beaucoup de nos indus- 
tries nous conduiraient aux mêmes conclusions. Ces 
simples considérations nous paraissent démontrer 
suffisamment qu’il y a urgence de s’occuper de 
l’éducation générale et spéciale des chefs d in- 
dustrie. 

Sans doute il existe en France , dans la capitale, 
dans les principales villes de l’intérieur, et sur- 
tout dans nos ports , des maisons de banque et 
de commerce recommandables par le savoir, l in- 
tégrité et la pénétration qui président a leurs 
opérations ; et cependant les plaintes que font 
entendre les négocians réunis de tel ou tel port , 
de telle ou telle branche de commerce; les causes 


(*) Que l'on ne croie pas que notre intention soit de pré- 
coniser l’industrie anglaise aux dépens de la nôtre. Les 
exemples que nous venons de citer prouvent seulement 
que l’Angleterre, habituée depuis long-temps à 1 exploita- 
tion de certaines industries, a profité des leçons de l ex- 
périence poui les perfectionner. Nous aurons l’occasion, 
dans le cours de cet ouvrage , de faire remarquer que si 
nos voisins, favorisés par des circonstances toutes parti- 
culières , nous ont devances dans la pratique des dits , leur 
plus grande ignorance dans les sciences théoriques a posé 
une limite aux progrès de leur industrie , qui n’arrèt ra 
jamais l'essor de la France dans la même carrière. 


( 40 ) 

singulières auxquelles ils attribuent la décadence 
ou le malaise de leurs affaires ; l’importance que 
nos banquiers attachent à certaines opérations 
improductives, qui ne sont qu’un jeu de bourse 
et d’agiotage au profit du plus adroit ou du plus 
riche ; le but qui fait désirer aux commerçans la 
création d’un entrepôt ou d’une loi de douanes , 
prouvent jusqu’à l’évidence, qu’ils ignorent les 
fonctions qui leur appartiennent dans l’œuvre' 
sociale , les véritables sources de leurs profits et 
de leurs pertes, les institutions qui pourraient 
étendre et faciliter leurs opérations , les avantages 
réels de celles qu’ils réclament. 

Que de richesses détruites improductivement 
seraient conservées à la société, si les personnes 
qui dirigent notre commerce et ses moyens de 
crédit connaissaient généralement l’économie poli* 
tique, l’histoire agricole, commerciale et indus- 
trielle de tous les peuples ; si des connaissances en 
chimie, en physique, en mécanique, les mettaient 
à meme d’apprécier la nature et les défauts des 
denrées et des marchandises , les avaries que telles 
circonstances, tel moyen de transport, peuvent 
leur faire subir; si des études positives et suivies en 
commun, leur avaient inspiré cet amour de l’ordre, 
de la justice, et cet intérêt réciproque que l’on 
remarque si souvent dans les corps qui se recru- 
tent aux mêmes écoles spéciales ! 

Il y a donc lieu de désirer que les négocians 


( 41 ) 

fassent les mêmes études générales que nos agri- 
culteurs et nos chefs d’industrie, et qu’ils aient 
aussi leurs écoles spéciales. 

Nous voici arrivés à l’administrateur, à celui 
qui doit protéger, diriger, juger et mettre d’ac- 
cord les agriculteurs, les industriels, les négo- 
cians, toutes les classes de la société; dont les 
actes sont critiqués par tous ; qui doit connaître 
tous les besoins et toutes les ressources de la na- 
tion ; qui peut user de notre force militaire , des 
fonds de notre budget. 

Est-il besoin de s’étendre beaucoup sur la né- 
cessité d’exiger de lui des connaissances étendues? 
Ne doit-il pas tout savoir ? Peut-il ignorer quelque 
chose, s’il tient à remplir ses fonctions avec le 
plus de perfection possible ; s’il veut mériter l’es- 
time et l’amour de ses concitoyens; s’il veut éviter 
tout abus des moyens puissans que la loi lui 
confie ? 

L’administrateur!.. Quand on sent profondé- 
ment tout le bien ou tout le mal qu’il peut faire , 
on doute qu’il soit permis de trouver ou de former 
un homme qui soit digne de l’être. Mais qu’au 
moins ceux qui ambitionnent ce genre d’emploi , 
auxquels la nature a donné, sans doute à dessein, 
le désir de dominer sur les autres hommes, prou- 
vent, par la généralité de leurs études, qu’ils ont 
fait tous leurs efforts pour atteindre le plus près 
possible la perfection désirable, et pour être 


( 42 ) 

moins incapables que tout autre homme de prendre 
la direction de nos affaires publiques. 

Cette carrière , la plus importante de toutes , 
cette haute influence qui embrasse l’universalité 
des besoins physiques et moraux de la nation , 
est livrée de nos jours presqu’au premier-venu. Il 
faut des années d’épreuves , un luxe d’études ap- 
profondies, pour être capable de mener des artil- 
leurs au combat, de diriger les travaux d’un siège, 
pour réparer une route et construire un pont; et 

tout homme qui sait sa langue et a l’habitude des 

/ 

salons, est jugé souvent apte k interpréter les 
lois, à diriger l’administration des intérêts ma- 
tériels et politiques de portions considérables du 
territoire , à connaître de l’état des esprits , des 
besoins du commerce et de l’agriculture, et de 
mille autres questions les plus délicates et les plus 
compliquées de la science sociale ! Aussi , qu’ar- 
rive-t-il? des sous-ordres , doués de connaissances 
locales, administrent, et les places supérieures 
sont considérées comme des récompenses dues 
aux chefs du parti qui triomphe, ou sont données 
à des Aristarques incommodes , pour prix de leur 
coopération ou de leur silence; aussi, depuis que 
l’on essaie en France du gouvernement représen- 
tatif, on a vu trop souvent les fonctions adminis- 
tratives , qui se bornaient à une vaine représen- 
tation ou à des influences scandaleuses , exercées 
sans pudeur, pour faire triompher dans les élec- 


( 43 ) 

tions le parti qui était au pouvoir, passer à chaque 
secousse politique entre des mains incapables ou 
souvent indignes; elles se sont dépouillées de plus 
en plus de ce prestige d’honneur ou de considé- 
ration qui, dans un gouvernement régulier, doit 
revêtir les magistrats dépositaires du pouvoir, et 
qui est indispensable pour assurer l’observation 
des lois et le respect qui leur est dû. 

Nous croyons que ces inconséquences , que ces 
graves inconvéniens disparaîtraient d’eux-mêmes, 
si les places de l’administration étaient accordées 
à des hommes qui, après avoir suivi à l’école cen- 
trale le cours complet d’études, et avoir fait preuve 
de capacité par l’étendue de leurs idées et la gé- 
néralité de leurs connaissances, auraient étudié 
ensuite dans l’école d’application, les sciences 
sociales, la législation, l’histoire, la statistique, 
l’économie politique, et posséderaient ainsi l’en- 
semble des connaissances humaines. Nous croyons 
qu’une haute considération suivrait ces hommes 
dans leur carrière; et sans prétendre qu’ils fus- 
sent exempts des imperfections inséparables de 
notre organisation , nous pensons que la nécessité 
de soutenir une réputation acquise de bonne 
heure , l’idée que leurs amis et leurs condisciples 
ont les yeux fixés sur eux pour applaudir à leurs 
succès ou blâmer leurs erreurs , donneraient de 
leur moralité une tout autre garantie que celle 
qui pourrait résulter du choix d’un ministre, si 


( 44 ) 

éclairé et si bien intentionné qu’on le supposât; et 
ceci n’est pas une utopie : l’esprit de corps est le 
gardien de l’intégrité et de l’honneur. Des preuves 
de cette assertion ne nous manqueraient pas dans 
l’armée, la magistrature, le corps des anciens 
élèves de l’École Polytechnique , partout où se 
conservent ces souvenirs d’amitié et d’estime réci- 
proque qui ont pris leur source dans tout ce que 
la jeunesse a de plus noble et de plus désintéressé. 
Les dignités de l’État devenant la récompense du 
talent, et cessant d’ètre le prix de l’intrigue, la 
corruption cesserait alors d’ëtre un moyen de gou- 
vernement, et la probité politique ne serait plus 
un vain mot. 

Hâtons-nous de reconnaître cependant que cette 
perfection est encore impossible de nos jours, et 
qu’elle ne pourra être atteinte de long-temps : la 
nécessité de maîtriser les partis qui s’agitent en- 
core en France, et d’éviter de nouvelles crises po- 
litiques, ne permettrait peut-être pas de confier 
les fonctions de l’État à des hommes uniquement 
recommandables par leurs talens et leur intégrité ; 
une sorte d’adresse et d’aptitude à l’intrigue peut 
être encore utile pour déjouer les complots des 
partis vaincus, et peut déterminer le choix de plu- 
sieurs de nos administrateurs. Mais lorsque le 
temps et le renouvellement des générations au- 
ront diminué la vivacité des résistances opposées 
à l’ordre de chose établi , ces nuances accessoires 


( 45 ) 

dans la capacité de nos gouvernans , iront en di- 
minuant d’importance; et ils devront posséder 

surtout les connaissances spéciales et la moralité 
que ne pourrait manquer de leur donner le sys- 
tème d’instruction que nous proposons. 

Avant d’entrer dans la discussion des sciences 
qui doivent composer les cours d’études de l’école 
centrale et des écoles spéciales destinées à formel 
des agriculteurs, des chefs d’industrie, des négo- 
ciais et des administrateurs , nous devons écarter 
d’avance le reproche qu’on pourrait nous faire 
d’avoir introduit dans nos programmes trop d’ob- 
jets différens, et d’avoir ainsi rendu trop difficile 
à suivre les études compliquées que nous pro- 
posons. 

Quand on observe les qualités et la manière 

d’ètre de chacun des individus qui composent une 
grande masse d’hommes, on est forcé de convenir 
que la nature n’a pas accordé la même énergie à 
toutes leurs facultés , puisque , malgré tous les 
efforts de leurs instituteurs , malgré l’uniformité 
de leurs études, ils présentent une variété infinie, 
non-seulement de talens et de spécialités diffé- 
rentes, mais même de nuances dans le degré d’in- 
tensité , et en quelque sorte dans la couleur ou le 
timbre de chacune des facultés qu’ils exercent. 

Il serait absurde de vouloir façonner l’esprit 
d’un grand nombre d’hommes sur le même moule, 
ou de prétendre qu’ils pussent savoir tous les 


• • ( 46 ) 

mêmes choses avec la même perfection; aussi telle 
n’est pas notre prétention. 

Les examens d’entrée à l’école centrale devront 
porter sur un grand nombre d’objets différens , 
et l’on pourra y recevoir des candidats qui satis- 
feront complètement à quelques-unes des condi- 
tions exigées , quand bien même leur examen sur 
les autres points serait médiocre. On doit conce- 
voir qu’il est possible de combiner les objets à 
exiger, le mode d’examen, et l’âge des élèves , de 
telle manière que l’examinateur puisse s’assurer 
que leur passage à l’école centrale ne sera pas sans 
fruit, et qu’il n’ait à rejeter que les sujets dont 
l’incapacité générale lui serait démontrée. 

Pendant la première année d’études à l’école 
centrale , les spécialités des élèves se dessineraient 
d’une manière plus prononcée. De uouveaux exa- 
mens pourraient déjà faire entrevoir la direction 
que chaque élève choisirait de préférence ; et s’il 
reconnaissait clairement lui-même le but qu’il lui 
serait donné d’atteindre , il pourrait obtenir d’être 
soumis à moins d’exigences sur certaines parties 
du cours des études, pour s’adonner davantage, 
au contraire, à celles vers lesquelles il se senti- 
rait le plus porté. 

Enfin , à l’examen définitif qui devrait décider 
du choix et de la distribution des élèves dans 
les différentes écoles d’application, les examina - 
• leurs feraient principalement porter leurs ques- 


( 47 ) 

tions et leur sévérité sur les objets les plus indis- 
pensables à la carrière à laquelle chaque élève au- 
rait indiqué qu’il serait le plus propre , par la 
nature de sa capacité et par le genre d’études qu’il 
aurait paru affectionner le plus particulièrement. 

Dans chaque école spéciale , de nouveaux exa- 
mens d’entrée, et une marche analogue à la pré- 
cédente , particulariseraient encore davantage les 
talens des individus, et assigneraient leurs profes- 
sions définitives : car , comme on le verra par la 
suite, il y aurait encore bien des variétés dans les 
carrières qui pourraient recruter leurs membres 
dans nos écoles spéciales. 

Ainsi la variété et le nombre des objets d’étude 
que nous proposerons, auront pour résultat d’of- 
frir à chaque élève les moyens de manifester d’une 
manière plus certaine la spécialité dans laquelle 
ses dispositions organiques et l’étendue de ses 
facultés peuvent lui promettre le plus de succès 
et de distinction. 

Tel n’est pas cependant le but unique que nous 
envisagions. Nous croyons que des élèves doués 
d’une intelligence plus active et plus variée que 
leurs camarades, pourront suivre également bien 
tous les cours d’étude de nos programmes; et 
leur nombre fût-il très restreint, se réduisît-il à 
deux ou trois par centaine, ces hommes plus 
complets que les autres, répandus dans les diffé- 
rentes carrières , ou occupant plus particnliè- 


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(48 ) 

rement les places de l'administration , y seraient 
d’une immense utilité. La généralité de leurs con- 
naissances les mettrait en état d’apprécier plus 
efficacement que les hommes spéciaux, les progrès 
des sciences et des arts, dont les points de contact 
se multiplient de plus en plus. Instruits du but et 
des moyens des carrières étrangères à celles qu’ils 
adopteraient, ils serviraient à les harmoniser, à 
les coordonner , pour les diriger toutes vers le 
meme but , et les faire concourir, sans chocs mu- 
lets et sans incertitude , à l’organisation de la so- 
ciété nouvelle. 

Nous dirons encore quelqnes mots sur les con- 
naissances que l’on pourrait exiger des candidats 
à notre école centrale. Nous supposons qu’à seize 
ou dix-sept ans un jeune homme ait fini ses études 
collégiales ordinaires ; qu’indépendamment des 
langues mortes, il ait étudié quelque langue vi- 
vante, de l’histoire, de la géographie, de la phy- 
sique , et même un peu d’histoire naturelle , l’a- 
rithmétique , de la géométrie , et le dessin de la 
figure. Les modifications qui ont été sagement 
apportées, depuis quelques années, à l’ancien 
système d’études de nos collèges, et surtout le 
bon esprit de beaucoup de nos chefs d’institution, 
rendent cette supposition facile à réaliser. 

Nous pensons qu’une seule année suffirait en- 
suite à notre candidat pour compléter ses con- 
naissances en mathématiques générales et spé- 


( 49 ) 

<ciales, et le préparer à subir nos examens d’en- 
trée, qui porteraient en outre sur tous les objets 
de ses études antécédentes. Nous aurons l’occasion 
d’indiquer par la suite les moyens d’obtenir le 
dernier résultat, par des modifications convena- 
bles dans l’enseignement des sciences abstraites , 
et par le rejet des inutilités qui s’y sont intro- 
duites. Ainsi, à dix-huit ans au plus, un jeune 
homme pourrait se présenter à notre école cen- 
trale. 

Les objets de l’enseignement à l’école centrale 
se diviseraient en cours théoriques et pratiques. 
Nous allons indiquer, dans les deux chapitres 
suivans, l’utilité générale et spéciale de chacun 
d’eux. Nous entrerons plus tard dans quelques 
détails sur leur distribution. 

Trois années nous semblent indispensables pour 
que les élèves puissent profiter d’un système d’ins- 
truction aussi complet et aussi étendu. Si les dé- 
veloppemens qui vont suivre font bien comprendre 
toutes nos pensées et nos intentions , la complica- 
tion et la longueur de notre plan d’éducation pro- 
fessionnelle n’auront rien d’effrayant. Des études 
ne sont longues que lorsqu’elles sont ennuyeuses , 
et nous sommes convaincus qu’en montrant seule- 
ment les sciences qu’il est bon de connaître, en 
élaguant de chacune d’elles ce qui n’aurait pas 
un but d’utilité réel , et surtout en accompagnant 
leur enseignement d’exercices pratiques variés , 

4 


( âO ) 

on pourrait rendre leur étude facile et agréable , 
en inspirer le goût, et donner du charme au sou- 
venir des années qu’on leur aurait consacrées. 

D’ailleurs, à vingt-un ans au plus les élèves de 
l’école centrale seraient distribués dans les écoles 
spéciales, et auraient dès ce moment une place 
déterminée dans la société. Or aucune des car- 
rières offertes aux jeunes gens qui ont reçu une 
éducation libérale, ne présente des résultats plus 
prochains ni plus complets. 

Passons maintenant à la discussion de la partie 
théorique du programme de notre école centrale. 


( 5* ) 


'AWWUV VM W* UWMM WWW VMVWW VVI VWWAMMAMA\W W W W VW \>V\A\W\ WWW 


CHAPITRE III. 


Partie théorique du programme de l’École centrale. — But 
général de l’élude des Mathématiques , de la Mécanique 
rationnelle, de îa Physique. — Chimie. — Physiologie. — 
Histoire naturelle. — Économie politique. — Statistique. — 
Législation. 


Au point de vue où nous nous sommes placés, 
nous avons une tâche importante à remplir, c’est 
de prouver la réalité de cette formule : Les scien - 
ces ont une utilité industrielle. Cet énoncé fera 
sourire d’incrédulité quelques-uns de nos lecteurs, 
d’autres le trouveront trivial à force de vérité. 
Nous espérons leur prouver, s’ils ont la bonté de 
continuer à nous lire, qu’ils ont tort et les uns et 
les autres. Les industriels, qui font leurs affaires 
loin , et quelquefois eii horreur de la science, ver- 
ront qu’ils feraient moins de bévues, qu’ils agi- 
raient plus sûrement, qu’ils réaliseraient plus de 
bénéfices , s’ils étaient plus savans. Les savans, qui 
vivent pour la plupart dans l’ignorance des be- 
soins matériels de la société , reconnaîtront qu’ils 
feraient faire plus de progrès utiles aux sciences, 

4 ~ 


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( 52 ) 

qu’ils les enseigneraient surtout d’une manière 
plus profitable, s’ils étaient plus industriels. 

Nous allons passer en revue les sciences qui nous 
paraissent les plus utiles. Nous n’avons pas la pré- 
tention de les avoir rangées dans l’ordre qui leur 
convient sous ce rapport; toutes ne nous sont pas 
familières, et nous espérons que les savans spé- 
ciaux suppléeront aux connaissances qui nous 
manquent à cet égard, en publiant leurs vues sur 
futilité des sciences qu’ils cultivent. Car nous 
croyons que le moment est venu de faire une 
enquête générale sur les moyens dont l’homme 
peut disposer pour augmenter son bien - être et 
satisfaire le mieux possible ses besoins matériels 
et intellectuels. C’est une donnée indispensable, à 
l’époque où tout pousse à l’organisation d’une 
nouvelle société. 

L’étude des mathématiques a un but général , 
autrement important que son but spécial. Ceux 
dont le bon sens naturel a été nourri et développé 
par des études positives et étendues, pourront 
trouver triviales les idées que nous émettrons sur 
ce sujet; mais la science défigurée qui circule au- 
jourd’hui, la défaveur qu’elle a encourue, la ré- 
probation attachée dans un certain monde au titre 
de savant, font assez voir que ces idées, quoique 
peu nouvelles, sont oubliées ou méconnues. 

La faculté de raisonner, ou de déduire les con- 
séquences successives d’un principe admis ou 


( 55 ) 

d’un fait établi, est la source de tout progrès; elle 
forme en quelque sorte le caractère principal de 
l’intelligence humaine; mais pour produire des 
effets utiles, cette faculté exige , chez la plupart des 
hommes, les secours de l’éducation. Elle a besoin 
d’un exercice convenablement dirigé, surtout à 
l’époque de la vie où elle semblé se développer. 

Sur ce point le bénéfice de l’éducation est aussi 
réel que sur tout autre. Le peintre qui copie la 
nature avec le plus de perfection , ne ferait que 
des ébauches informes , si de longues années 
d’exercices ne l’avaient pas habitué à conduire son . 
pinceau d’une main assurée. De meme, dépourvu 
de toute culture , le raisonnement resterait inac- 
tif, lent ou incertain. 

Or le choix de l’aliment que l’on doit offrir à 
cette faculté naissante n’est pas indifférent. Ap- 
pliquée tout d’abord à une science imparfaite, 
dont les données sont plus ou moins incertaines 
et indéfinies, elle conserve toujours une allure 
douteuse, et une sorte d’incapacité d’acquérir une 
conviction complète. 

L’étude première des sciences abstraites, dont 
les principes sont évidens, dont les conclusions 
sont rigoureuses et dépourvues de restrictions, 
peut seule donner au raisonnement toute la recti- 
tude désirable. Appliqué plus tard aux autres 
sciences, il y apporte l’habitude acquise de fuir les 
principes vagues et les fausses conclusions. 


( 54 ) 

Voilà ce qui rend indispensable l’étude des ma* 
thématiques pures. Mais pour donner à la faculté 
de raisonner l’activité et la spontanéité nécessaires 
à la recherche des vrais principes et de leurs con- 
séquences utiles, il faut que leur enseignement 
soit dirigé d’une manière convenable. Il ne suffit 
pas de prouver les vérités qu’on veut établir, il 
faut indiquer surtout la marche qui a été suivie 
ou qu’on aurait pu suivre, pour y arriver. En aban- 
donnant complètement les méthodes d’invention , 
et en leur substituant des méthodes de démonstra- 
tion ou de vérification, tout-à-fait impuissantes 
comme moyen d’explorer de nouvelles vérités, 
on fait perdre à l’étude des mathématiques sa 
principale utilité. 

Outre ce vice capital du mode Actuel de l’ensei- 
gnement des mathématiques pures, il en existe un 
autre non moins pernicieux, c’est l’absence de 
toute indication de l’utilité des théories que l’on y 
développe. Ce long enchaînement de théorèmes 
ne peut avoir d’autre but aux yeux de l’élève qui 
l’étudie , que de le mettre en état de passer des 
examens pour obtenir un brevet de capacité , ou 
l’admission à de certaines écoles. 

Un mode d’enseignement qui offrirait , à chaque 
nouveau pas que l’élève ferait dans la science . et 
l’histoire de la découverte du point de théorie 
qu’on lui expose , et son utilité médiate ou immé- 
diate, n’aurait-il pas l’immense avantage d’ètre 


• ( 55 ) 

beaucoup plufc efficace, de donner du charme à 
une étude difficile, et même d’en inspirer le goût? 

Les causes de ces vices et les moyens d’y remé- 
dier nous paraissent faciles à trouver. 

Jusqu’ici les savans que la nature a doués lar- 
gement de la puissance du calcul * inspirés par la 
gloire de reculer les limites de la science > et Sans 
cesse occupés à surmonter de nouveaux obstacles, 
♦ ce sont peu inquiétés du soin de vulgariser leurs 
découvertes. Ils ont abandonné ce travail impor- 
tant à des mathématiciens d’un ordre inférieur, 
d’une portée de vue beaucoup moins étendue , et 
qui ne pouvaient remplir qu’imparfaitement cette 
mission. 

Tant que les limites de la science ont été assez 
rapprochées pour que leurs efforts la fissent avan- 
cer à pas de géant; tant que les progrès de quel- 
que science leur ont permis de faire de grandes 
découvertes, les savans privilégiés par la nature 
ne pouvaient s’occuper d’une œuvre plus utile que 
celle qu’ils ont choisie. Mais aujourd’hui que leur 
puissance ne peut s’attaquer qu’à des difficultés 
partielles; qu’elle ne peut enfanter que des fhéo* 
ries d’une utilité fort contestable; qu’ils semblent 
attendre que d’autres sciences aient fait plus de 
progrès , pour leur fournir un sujet d’activité effi- 
cace, ils doivent descendre à une œuvre moins 
glorieuse peut-être, mais plus profitable : celle de 
donner im monde de bons ouvrages élémentaires. 


( 56 ) 

Le jour où ils sentiront que telle est leur mis- 
sion actuelle, la plupart des vices que nous avons 
signalés dans l’enseignement des mathématiques 
disparaîtront promptement. Quelques essais pré- 
cieux qu’ils ont faits dans cette direction ne per- 
mettent pas d’en douter. 

D’un autre côté, pour enseigner la science sous 
le point de vue de son utilité, il ne suffit pas que 
les études du maître se soient bornées à apprendre * 
les théories qu’il doit exposer ; il faut qu’il ait été 
familiarisé avec leurs applications, qu’il les con- 
naisse toutes. Ce n’est qu’en possédant la science 
à ce point de vue d’ensemble et de généralité r 
qu’il peut remplir utilement les fonctions dont il 
est chargé. Or en est-il ainsi de tous nos profes- 
seurs? L’enseignement des sciences, dans nos écoles 
normales, ne laisse-t-il rien à désirer sous ce rap- 
port? Nous nous dispenserons de répondre à ces 
questions. 

La nécessité d’adopter l’étude des mathémati- 
ques pures comme base de toute éducation posi- 
tive, nous paraît suffisamment démontrée parce 
qui précède. C’est le seul moyen de donner à la 
faculté du raisonnement toute la justesse et toute 
l’activité indispensables , pour bien se conduire 
dans toutes les circonstances de la vie, quelle que 
soit la carrière que l’on suive. Si cette vérité était 
reconnue généralement, et surtout si elle était mise 
en pratique , les sciences naturelles et les sciences 


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\ 


( 57 ) 

sociales seraient plus avancées qu’elles ne le sont 
aujourd’hui : il n’y a que des hommes positifs, ou 
possédant éminemment la faculté de raisonner, 
qui puissent accélérer les progrès delà civilisation, 
soit que la nature leur ait accordé cette puissance, 
soit que l’éducation ait bien dirigé leurs disposi- 
tions organiques. 

En perfectionnant chez les Français le déve- 
loppement de la faculté qui nous occupe, on ren- 
drait non-seulement un grand service à notre na- 
tion, mais on agirait puissamment sur les progrès 
de tout le genre humain. En effet, aucune grande 
masse d’hommes ne paraît posséder généralement 
l’organe du raisonnement à un aussi haut point 
que la nation française ; il nous semble être le type 
principal de son caractère physiologique. , 

Quand on compare avec soin la série des évè- 
nemens qui se sont passés en France, à celle des 
évènemens de toute autre société d’hommes, il est 
impossible de ne pas être frappé de l’ordre plus 
logique qui semble dominer dans notre histoire. 
Quand on considère cette philosophie toute fran- 
çaise qui consiste à interroger sans cesse l’expé- 
rience, à accumuler et à coordonner les faits, avant 
de bâtir des systèmes, à côté dé ces philosophies 
étrangères , si métaphysiques , si vagues , que l’on 
voudrait en vain enraciner sur notre sol , on ne 
saurait méconnaître que le Français ne soit plus 
rationnel que l’Allemand et l’Anglais. 


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( 58 ) 

Sans doute d’autres nations peuvent nous op- 
poser des hommes d’un génie extraordinaire, qui, 
devançant les temps, sautant au-delà d’une série de 
faits et de raisonnemens, ou plutôt les devinant 
en masse, ont fait de grandes découvertes; mais 
aucune ne peut offrir un aussi grand nombre de 
sa vans positifs que la Francè. Lorsqu’une science 
nouvelle apparaît sur une terre étrangère, elle 
semble ne recevoir son baptême d’existence que 
lorsque les Français s’en sont occupés , et l’ont en 
quelque sorte vulgarisée : l'économie politique eti 
offre une preuve incontestable. Les progrès récens 
de la physique présentent aussi plusieurs exemples 
à l’appui de notre opinion. Enfin notre Académie 
des Sciences a été, et est encore la première en 
Europe; c’est son jugement et son approbation que 
l’on réclame de préférence. 

Il est donc important pour le perfeçtionnement 
de l’homme en général, que l’on cultive en France 
tout ce qui tient à la faculté du raisonnement. 
C’est en quelque sorte la mission du Français dans 
l’œuvre de la civilisation européenne. 

Il est un reproche bannal que l’on fait à l’étude 
des sciences abstraites , et sur lequel nous croyons 
devoir dire quelques mots , notre intention étant 
d’attaquer tous les obstacles qui peuvent s’opposer 
à la propagation des connaissances utiles. C’est 
tm préjugé qui date du siècle dernier, et qui est 
encore adopté par beaucoup de personnes, que 


( 59 ) 

les mathématiques dessèchent V âme , ou s’oppo- 
sent au développement des sentimens affectueux 
et des talens d’imagination. 

A l’époque où les découvertes de Newton et 
les travaux de ses commentateurs mirent en évi- 
dence la puissance et l’utilité des sciences abs- 
traites, pour l’explication de l’astronomie, seule 
science positive qui existât alors , des savans , 
étonnés de ces résultats, ont pu croire à la possi- 
bilité de tout expliquer au moyen du petit nombre 
de principes qui venaient d’être signalés; leur 
enthousiasme égaré a pu déifier la matière, prê- 
cher l’athéisme, et qualifier du titre de faux pré- 
jugé et d’habitude dépravée, tout ce qui ne leur 
semblait pas une conséquence nécessaire de leur 
philosophie exclusive. 

Mais aujourd’hui que le calme règne dans la 
tète de nos savans ; qu’une multitude de faits nou- 
veaux ont été constatés; qu’un grand nombre de 
sciences alors inconnues ont augmenté le domaine 
de l’intelligence; que la longue série d’évènemens 
politiques qui se sont succédé, ont assez montré 
combien l’homme est complexe, on ne saurait rê- 
ver une explication complète des phénomènes na- 
turels , au moyen d’un petit nombre d’hypothèses 
sur la matière, sans être taxé d’ignorance et de 
folie. Chaque jour le monde savant voit éclore de 
nouveaux faits qui jettent des doutes sur les théo- 
ries les mieux établies; ce qui conduirait plutôt à 


( 60 ) 

faire croire à l’impossibilité d’expliquer jamais 
quoi que ce soit d’une manière complète. 

La philosophie actuelle des sciences consiste à 
observer ou à interroger la nature, à accumuler 
des faits , à rapprocher ceux qui paraissent analo- 
gues, et à établir leur liaison probable, ou meme 
simplement empyrique. En présence d’un travail 
aussi multiple et aussi compliqué , le mathémati- 
cien ne peut que saisir ou attendre l’occasion 
d’appliquer le calcul à démêler la liaison nécessaire 
de quelques théories partielles; l’époque où il 
pourra s’occuper d’un travail d’ensemble s’éloigne 
de plus en plus, et il peut même douter qu’il soit 
donné à l’homme de jamais l’atteindre. 

En voyant ainsi se restreindre et se limiter 
l’empire de la faculté qu’il possède, il ne saurait 
nier l’existence de principes sur lesquels elle n’au- 
rait aucune prise , et est tout aussi disposé que le 
commun des hommes, à éprouver les émotions 
qu’il ne peut définir. 

D’ailleurs le grand nombre d’élèves sortis d’une 
école célèbre, où les sciences abstraites ont été 
jusqu’ici l’objet principal de leurs études, et qui 
se sont répandus dans toutes les carrières , ont 
assez démenti, par leurs actions et leur conduite, 
l’espèce d’anathème que le préjugé dont il s’agit 
semblait lancer sur eux. Leur esprit de corps , l’a- 
mitié peu ordinaire qui a si souvent réuni leurs 
noms dans des travaux çomtnuns, cette espèce de 


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( 61 ) 

franc-maçonnerie qui s’est établie entre eux, et 
qui les accueille si cordialement dans leurs voya- 
ges, enfin les nombreux services désintéressés 
qu’ils rendent journellement à la société, prou- 
vent bien que, pour avoir étudié les mathémati- 
ques, on ira pas le cœur moins bien placé que 
les autres hommes , qu’on n’en est pas plus égoïste 
pour cela. 

Et cette classe d’individus élevés dans les scien- 
ces abstraites , n’a pas non plus montré qu’elle en 
fut plus incapable de briller dans les arts d’imagi- 
nation ; elle a eu ses poètes, ses peintres, ses lit- 
térateurs, ses musiciens; l’excès d'imagination a 
pu meme quelquefois les rendre mystiques. 

Loin de là au contraire, il semble que le genre 
d’études qu’on voudrait frapper de réprobation , 
ait fait fructifier chez les élèves de cette école les 
sentimens nobles de la nature humaine. Quelle 
classe de Français pourrait-on mettre au-dessus 
de la leur, qui fut plus attachée à ses devoirs de 
citoyen , qui fût plus fidèle à cette belle devise , 
qu’un héros fit inscrire sur son drapeau : Pour la 
patrie , les sciences et la gloire? 

Dans ces inomens de fièvre militaire où la 
France, égarée par un génie puissant, semblait 
• se croire obligée de bouleverser le monde pour 
l’intéressera sa révolution , ces élèves ont été périr 
pour elle : un grand nombre de leurs promotions 
ont été entièrement moissonnées dans les combats. 


( 62) 

Lorsque l’Europe conjurée menaça de rayer la 
France de la liste des nations, leur dévouement ne 
fut pas le dernier ; et plus tard...! mais suivons-les 
dans les temps de paix et de tranquillité : une 
grande partie de la gloire que la France a acquise 
dans les sciences leur est due. Les savans dont 
elle s’honore le plus aujourd’hui sont sortis de 
leurs rangs. Les nombreux cours destinés à pro- 
pager les connaissances utiles et positives dans la 
classe ouvrière, sont presque tous professés par 
eux. Les travaux publics, l’industrie manufactu- 
rière, l’administration meme, peuvent offrir mille 
preuves de leur zèle et de leur activité. En se dis- 
persant par toute la terre, ils y ont propagé l’é- 
tude et la pratique des sciences. Enfin ils ont offert 
partout, et dans toutes les circonstances r un 
témoignage irrécusable du bien que peut produire 
une vaste association d’hommes élevés dans les 
sciences positives, et dont l’éducation a eu pour 
base l’étude des mathématiques. 

Et c’est en partie à leurs travaux que la France 
devra l’œuvre complète de sa régénération. Toutes 
les idées que nous émettons aujourd’hui , au 
moins celles qui ont quelque valeur, sont les leurs 
depuis Ion g- temps. C’est cette communauté àe 
sentimens , cette conformité de leurs vues et des 
nôtres, basées sur une meme habitude d'anaJjyse 
et d’observation, qui nous fout le plus espérer que 
notre ouvrage produira quelque effet utile. 


( 63 ) 

La connaissance des principes généraux de la 
mécanique rationnelle nous paraît indispensable 
à toutes les personnes qui veulent suivre la car- 
rière industrielle. Aucune science ne nous semble 
susceptible de leur être présentée d’une manière 
plus complète et plus profitable. Les considéra- 
tions qui suivent feront sans doute partager à nos 
lecteurs nos opinions sur ce sujet. 

Personne ne niera qu’il ne soit utile de connaî- 
tre les conditions auxquelles doivent satisfaire les 
différentes parties d’une machine, pour que son 
usage soit le meilleur et le plus économique 
possible; qu’il ne soit bon de savoir calculer le 
plus grand effet que l’on puisse attendre d’un 
moteur; les pertes de force et de temps que l’on 
doit éviter dans une machine en activité; celles 
que l’emploi de tel ou tel mécanisme ne permet 
pas d’annuler, etc. On reconnaîtra sans peine 
avec nous, que les ingénieurs, les chefs d’indus- 
trie, les directeurs d’ateliers, doivent étudier la 
science qui traite de ce genre de questions. 

Or toutes leurs solutions dépendent de deux ou 
d’un petit nombre de principes, dont toute la mé- 
canique rationnelle n’est qu’une série de consé- 
quences : un principe général de l’équilibre, 
connu chez les savans sous le nom de principe 
des vitesses virtuelles ; un principe sur les corps 
en mouvement, appelé principe des forces vives , 
et quelques autres moins généraux. Lorsqu’on a 


( 64 ) 

bien compris ces principes; qu’on en a lait un 
grand nombre d’applications, et qu’on s’est ainsi 
habitué à manier facilement les formules qui les 
représentent, on possède parfaitement toute la 
partie utile de la mécanique rationnelle, et l’on 
est en état de résoudre toutes les questions qui 
s’y rapportent, et qui sont d’un usage journalier. 

Et cette perfection à laquelle les mathématiciens 
ont porté la science que nous considérons , en la 
réduisant ainsi à deux ou trois énoncés qui, bien 
compris, la contiennent en entier, nous fait dire 
que tous les hommes qui ont reçu une éducation 
dite libérale , devraient savoir les principes de la 
mécanique rationnelle. Il n’existe pas de carrière 
dans laquelle leur connaissance ne pût être utile, 
et surtout ne rectifiât les jugemens faux que l’on 
porte sur un grand nombre de choses. 

Il y a des analogies si vraies, si réelles, entre 
certains phénomènes de l’ordre social et ceux que 
présentent le repos et le mouvement des corps 
inorganiques, que la connaissance des lois de la 
mécanique serait souvent d’un grand secours à 
nos législateurs et à nos gouvernans. Elle ne leur 
serait pas moins utile pour comprendre clairement 
les différences qui séparent le monde des corps 
bruts, de celui des corps organisés. 

Et pour citer quelques exemples , nous ne 
croyons pas qu’il soit possible d’assigner exacte- 
ment le bien et le mal des secousses politiques, 


( 65 ) 

le gain et la perte qui résultent de l’introduction 
d’un nouveau procédé dans les arts , d’un nouveau 
mode de transport, si l’on ne connaît pas le prin- 
cipe des forces vives, et les phénomènes que doi- 
vent présenter le choc des corps. Quelque bizarre 
que paraisse cette opinion , on serait forcé de lui 
reconnaître une grande valeur, si nous signalions 
ici toutes les erreurs que présentent nos lois et 
nos institutions, quand elles ont pour but de ré- 
primer les émeutes ou de régulariser les progrès 
de l’industrie. s 

Enfin si l’étude de la mécanique était plus gé- 
nérale, on verrait moins de gens perdre leur teirtps 
et leur argent à chercher des impossibilités, moins 
d’hommes à projet attribuer à une invention une 
propriété absurde, moins de capitalistes se laisser 
éblouir par ces prétendues découvertes. 

Et qu’on ne croie pas qu’il faudrait de longues 
études pour obtenir ces résultats. Si l’on réduisait 
le cours de mathématiques pures à ce qui est in- 
dispensable à l’élève dont l’unique but serait de 
comprendre la mécanique rationnelle, si cette der- 
nière science surtout lui était bien présentée, il 
parviendrait plus rapidement qu’on ne l’imagine 
au résultat désiré. 

Sans doute la méthode que l’on a suivie généra- 
lement jusqu’ici dans l’enseignement de la méca- 
nique, ne saurait être appliquée dans cette cir- 
constance. Le plus souvent, tous les théorèmes, 

5 


( 66 ) 

tous les cas particuliers de l’équilibre et du mou- 
vement sont présentés les premiers; on les dé- 
montre successivement par des méthodes souvent 
très dissemblables, et ce n’est qu’après avoir suivi 
la longue chaîne de toutes ces propositions, que 
l’élève connaît les principes, les formules généra- 
les, dont tout ce qu’il a appris si péniblement 
n’est qu’une série de conséquences. 

Il faudrait au contraire, après avoir établi un petit 
nombre de lemmes, donner d’abord la démons- 
tration des principes ou des formules générales, 
et en déduire ensuite tous les cas particuliers. 

On a objecté à cette dernière marche, la diffi- 
culté de démontrer les principes généraux d’une 
manière assez simple, assez élémentaire pour que 
l’élève puisse les comprendre dès son entrée dans 
la science; mais c’est qu’effectivement on ne sau- 
rait comprendre toute l’importance de ces princi- 
pes , qui consiste uniquement dans leur généralité, 
qu’après avoir suivi un certain nombre de leurs 
applications. Voilà ce qui arrive alors : l’élève 
comprend la démonstration en elle-même ( car il 
en existe d’assez simples pour un esprit suffisam- 
ment initié dans l’analyse infinitésimale), mais ce 
qu’il y a de général dans l’énoncé du principe 
est encore obscur pour lui. A chaque application 
nouvelle cet énoncé s’éclaircit, et après un assez 
petit nombre d’applications bien choisies, toute 
obscurité disparaît. 


( 67 ) 

L’élève arrive ainsi beaucoup plus rapidement à 
la connaissance exacte des principes généraux, et 
s’habitue à les considérer comme renfermant 
toute la science, beaucoup plus facilement que si 
cette science lui avait été présentée de la manière 
inverse. 

Ce que nous venons de dire nous permet de dé- 
finir le but général de l’étude de la mécanique , 
considérée comme une des bases de l’éducation 
industrielle; c’est de bien pénétrer l’esprit de 
l’importance et de la fécondité des lois générales; 
de l’habituer à considérer une masse de faits sous 
un point de vue d’ensemble , à chercher, à bien 
définir l’idée principale d’un travail quelconque, 
et à en coordonner tous les détails de manière à 
ce qu’ils remplissent le mieux possible le but dé-, 
siré. 

Passons maintenant à la physique. Il est inutile 
de s’étendre beaucoup sur son but spécial; la con- 
naissance des phénomènes du monde matériel qui 
nous entoure est désirée par tous ; personne n’i- 
gnore qu’elle ne soit indispensable aux chefs d’in- 
dustrie. Mais son étude a un but général que nous 
devons signaler. 

Lorsque la faculté du raisonnement, développée 
par les sciences abstraites, a acquis l’habitude de 
déduire facilement toutes les conséquences d’un 
principe posé; lorsque la mécanique a encore ex- 
cité son activité, en la pénétrant de toute l’utilité 

5 .. 


- ( 68 ) 

des lois ou des principes généraux , il lui reste 
encore une étude bien importante à faire avant 
de se porter sur les sciences incomplètes, ou sur 
cette quantité innombrable de faits et de phéno- 
mènes que présentent la nature et la société : c’est 
d’apprendre à choisir et à discuter un principe. 

Or aucune étude n’est plus capable de remplir 
cette lacune, que celle de la physique dans son 
état actuel : dans cette science, tous les faits que le 
hasard ou l’esprit de recherche accumulent jour- 
nellement, y sont cïîscutés, coordonnés, classés; 
aussitôt qu’une idée de système ou d’ensemble 
naît du rapprochement de plusieurs phénomènes , 
elle est soumise à la critique de l’expérience et de 
l’observation, et sa valeur réelle ou fausse est 
bientôt reconnue; là on recherche, on éprouve, 
avec les soins les plus minutieux, les lois empi- 
riques qui semblent lier les faits ; et par ce travail 
pénible, mais utile, on marche d’un pas assuré 
vers l’époque où quelque génie extraordinaire (et 
peut-être tout le monde savant en masse), procla- 
mera les lois réelles qui régissent le monde physique. 

Voilà la philosophie positive, la seule qui puisse 
guider sûrement dans la recherche de la vérité. A 
quelle meilleure école apprendrait-on à se méfier 
de l’esprit de système, à fuir les définitions va- 
gues, à renverser des doctrines qui ne se paient 
que de mots dépourvus de sens et de valeur ? 

Quand l’étude de la physique sera plus répan- 


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( 69 ) 

due et mieux connue; quand, considérée comme 
base de toute éducation libérale, elle viendra gui- 
der le raisonnement nourri de l’étude des sciences 
abstraites, et l’empêcher de s’égarer par le trop vif 
désir de rencontrer, aujourd’hui même , une per- 
fection de principes et d’ensemble dans des classes 
de phénomènes qu’il n’a pas encore été donné à 
l’homme de considérer sous toutes leurs faces : 

Nos philosophes, nos médecins, nos physiolo- 
gistes, feront faire des pas utiles et rapides aux 
sciences qu’ils exploitent , et qui seraient indignes 
du nom même de sciences, si quelques bons es- 
prits, bien rares il est vrai , n’avaient déjà suivi la 
bonne route. 

Nos législateurs abandonneront ces êtres mé- 
taphysiques qu’ils ont en quelque sorte déifiés 
pour en déduire leurs fausses théories, et pour - 
déraisonner sur les institutions qui nous convien- 
nent. Ils comprendront qu’il faut étudier, par la 
méthode de nos physiciens, l’histoire et la physio- 
logie de l’homme, avant de rêver l’état social qui 
lui convient. Ils se contenteront, pour le moment, 
de consolider l’état transitoire dans lequel nous 
nous trouvons, de manière à ce que tout progrès 
évident puisse s’y greffer sans secousse. 

Ils se garderont bien surtout de donner de telles 
racines à des institutions dont ils auront trouvé 
une solution prématurée, qu’il faille les renverser 
par des révolutions lorsqu’elles gêneront l'essor de 


( 70 ) 

la civilisation , et mettre encore une fois notre na- 
tion en péril de destruction. Mais aussi ils étudie- 
ront avec soin les progrès des sciences, pour les 
encourager efficacement , et les besoins de la so- 
ciété, pour les satisfaire par des lois nouvelles. Et 
ces lois, il les élaboreront de manière à éviter 
tout choc fâcheux pour le présent et l’avenir. 

Les sciences que nous avons considérées jus- 
qu’ici nous ont paru avoir un but général à 
remplir, en développant le mieux possible Inintelli- 
gence de l’homme, quel que soit le genre de tra- 
vail auquel il veuille consacrer son existence. 
L\itilité de celles dont nous allons parler ne peut 
guère être considérée que sous le point de vue de 
leur spécialité ou de leurs applications ; mais il en 
est dont la connaissance est indispensable dans 
tant de carrières différentes, qu’il est à désirer 
que beaucoup d’entre elles soient introduites dans 
le cours des études de l’école centrale. 

La chimie , sœur de la physique, traitée avec la 
même philosophie positive , est du nombre de ces 
dernières. Il est bien peu d’arts industriels aux- 
quels elle soit étrangère, et qu’elle ne puisse per- 
fectionner. Et nous inquiétant peu du reproche 
qu’on pourrait nous faire maintenant de vouloir 
que tout homme dût tout savoir, reproche que 
nous avons déjà eu l’occasion d’écarter, nous di- 
rons ici que nous ne voyons aucune profession 
où la chimie ne fût d’un utile secours. 


( 7i ) 

L’agriculteur y puiserait des notions précieuses 
sur la nature et l’efficacité des engrais qu’il em- 
ploie, sur le développement des végétaux qu’il 
cultive, sur la confection des produits qu’il livre 
à la consommation et au commerce. Le négociant 
en emprunterait des. moyens sûrs d’assigner la 
qualité des denrées qu’il achète et revend, d’éva- 
luer les pertes et les avaries occasionées par les 
intempéries de l’air, les divers moyens de transport, 
et de corriger les défauts de ses marchandises. 

L’administrateur qui consent à s’exiler pendant 
quelques années au fond de nos provinces , au 
milieu d’une population ignorante et supersti- 
tieuse, afin d’acquérir l’ancienneté et le service 
qui lui sont nécessaires pour postuler un poste 
plus avantageux, trouverait dans la connaissance 
de la chimie le moyen précieux de soulager la 
misère, d’assainir l’habitation du pauvre, d’écarter 
les (léaux qui détruisent ses ressources. Quel bien 
11e produiraient pas des hommes instruits auxquels 
serait confiée la direction de certaines sous-pré- 
fectures de France où la civilisation 11’est guère 
plus avancée que dans les contrées de l’Europe qui 
avoisinent l’Asie ! 

Le programme de l’éducation industrielle ne 
saurait se passer de la physiologie , de cette science 
dont toutes les autres sciences attendent les pro- 
grès, qui doit nous apprendre un jour non-seule- 
ment la nature et le but de tous les ressorts de la 


( 72 ) 

machine humaine , mais encore le nombre et le 
caractère spécifique des facultés qui composent 
l’intelligence de l’homme, les époques de la vie 
où elles tendent à se développer, l’influence des 
temps et des lieux sur ces développemens , la dif- 
férence des races et celle des individus. 

Si elle avait fait quelques pas de plus vers la 
solution de toutes ces questions , que de données 
précieuses ne fournirait-elle pas à ceux qui se 
chargent ou qui sont chargés du soin d’enseigner 
les hommes , de leur distribuer le travail dont ils 
doivent s’occuper , de les réunir en corps de so- 
ciété, de leur donner des lois et des institutions, 
de les réprimer, de les juger, de leur infliger des 
punitions ! 

Voilà la science que notre siècle doit faire avan- 
cer, dont le besoin se fait le plus sentir à l’époque 
actuelle , que tout ce qui a pouvoir et intelligence 
parmi nous devrait encourager de tous ses moyens. 
Et c’est à cause de cette nécessité imminente, 
que nous proposons d’introduire cette science , 
si incomplète qu’elle soit , parmi les sciences que 
doit étudier tout homme recevant une éducation 
libérale , afin que son utilité et son imperfection 
même soient mieux senties, qu’un plus grand 
nombre d’êtres intelligens puisse s’en occuper et 
lui porter secours. 

Que les médecins , continuant d’étudier l’ana- 
tomie et toute la partie matérielle du corps hu- 


( 75 ) 

main , fuient tout-à-fait cette méthode conjectu- 
rale qui retarde encore les progrès de leur science; 
qu’ils adoptent franchement, comme plusieurs 
paraissent le faire aujourd’hui, la méthode posi- 
tive de nos physiciens; qu’ils observent avec soin 
l’état d’exaltation et tous les désordres que les 
maladies apportent dans l’intelligence. Que des 
chefs d’institution, des pères de famille, suivent 
et notent à chaque instant les progrès et le déve- 
loppement des différentes parties de l’intelligence 
chez les enfans. Que les juges , les chefs d’ateliers, 
les directeurs d’hommes, recherchent et publient 
les similitudes et les nuances de caractère et de 
dispositions naturelles des individus qu’ils sont à 
même d’étudier. Que les historiens démêlent dans 
la série des évènemens survenus au milieu des 
sociétés d’hommes qui ont vécu ou qui vivent sur 
notre globe, les nuances de caractère et d’intelli- 
gence particuliers à chaque race. Que les philo- 
logues même, placés au point de vue de la gram- 
maire générale, fassent ressortir du dictionnaire 
et de l’esprit de chaque langue, l’importance et la 
richesse relatives des idées et des mots qui les ex- 
priment. 

Et l’on verra, nous n’en doutons pas, que la 
physiologie peut conduire à tous les résultats que 
nous avons énoncés. Nous avons été à même de 
réunir un assez grand nombre d’observations sur 
tous ces points, pour croire fermement à l’avenir 


( 74 ) 

brillant que nous promettons à la science dont il 
s’agit. D’ailleurs, à en juger par des recherches 
publiées récemment , et par plusieurs ouvrages 
qui circulent, il y a beaucoup de personnes qui 
partagent notre opinion (*). 

Un cours propre à donner aux élèves des con- 
naissances générales et exactes sur l’histoire na- 
turelle nous paraît devoir précéder ou accompa- 
gner celui de physiologie. Il devrait donner une 
description , à grands traits , des trois règnes'de la 
nature , et faire sentir surtout l’esprit de la classi- 
fication que les savans qui s’occupent de cette 
partie y ont introduite , et qui se distingue telle- 


(*) Qu'il nous soit permis d’énoncer ici une conséquence 
de nos rechercher sur le type physiologique des races 
d’iiouimes. Elles feraient penser à une sorte de mobilité 
progressive , à un perfectionnement lent dans la capacité 
d’intelligence de chaque peuple , mais qui seraient en 
grande partie l'œuvre d'une succession de générations; en 
sorte qu’on ne pourrait les accélérer par des changemens 
d’institutions ou par l’éducation , que dans une étendue 
très limitée. 

Si cette formule était reconnue vraie par des observa- 
tions plus nombreuses, nous laisserions en déduire les con- 
séquences à ceux qui, vivant depuis leur enfance au mi- 
lieu de Paris , prétendent que le genre de gouvernement 
qu’ils préconisent convient aux Bretons et aux Nîmois , 
ou qui rêvent des constitutions pour les Espagnols et les 
Portugais. 


\ 


( 75 ) 

nient par son caractère philosophique et rationnel, 
que l’étude de la science, sous ce seul point de 

vue > serait déjà d’une grande utilité. 

Les connaissances qu’y puiseraient les diffé- 
rentes classes d’hommes spéciaux qui sortiraient 
de notre école centrale , ne sont pas douteuses. 
Ce cours faciliterait d’ailleurs l’étude de la physio- 
logie, dont nous avons fait sentir l’utilité. 

Un autre but bien important serait encore rem- 
pli par l’introduction de ce cours dans les études 
de nos élèves : c’est celui de mettre en contact 
avec les sciences dont il s’agit, des hommes ayant 
reçu une éducation positive. Quand on voit les 
progrès que quelques hommes instruits dans les 
sciences abstraites ont fait faire récemment à la 
géologie, la seule des sciences naturelles que des 
savans de cette nature aient étudiée, il est permis 
de croire que la médecine, par exemple, ferait 
des progrès plus rapides, si des hommes positifs 
venaient à s’en occuper. 

Nous ne pouvons parler de la géologie sans re- 
gretter que toute son importance n’ait pas été sen- 
tie lorsqu’on a formé les programmes des écoles 
spéciales actuellement existantes. Elle est regardée 
comme tout-à-fait secondaire, et esta peine suivie 
à l’école où se forment nos ingénieurs des ponts- 
et-chaussées. Aussi , qu’en résulte-t-il ? c’est que 
si l’on voulait avoir des notions préliminaires suf- 
fisamment exactes sur la possibilité d’établir une 


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( 76 ) 

nouvelle voie de communication dans une direc 
tion déterminée , et sur la nature des difficultés 
que pourraient présenter la configuration du sol 
et la nature du terrain , ce ne serait pas un ingé- 
nieur des ponts-et-chaussées qu’il faudrait con- 
sulter pour cela , ce seraient tels et tels ingénieurs 
des mines , auxquels on doit la connaissance com- 
plète de la richesse minérale du territoire, et les 
découvertes les plus récentes de la géologie. Per- 
sonne ne connaît mieux qu’eux la surface et la 
croûte superficielle de notre France; leurs indi- 
cations ont une précision presque mathématique. 

Il est encore une science dont il nous est pé- 
nible de voir l’enseignement aussi négligé qu’il 
l’est en France : nous voulons parler de l’éco- 
nomie politique , seul chapitre de la physique so- 
ciale qui ait encore été étudié avec succès. Eh 
quoi ! cette science que l’Angleterre et la France , 
les deux nations les plus civilisées du monde ac- 
tuel , ont enfantée ; qui a trouvé parmi nous un 
vulgarisateur si clair et si rationnel, que ses ou- 
vrages élémentaires, traduits dans un grand nom- 
bre de langues, en sont considérés comme le 
catéchisme; cette science, que l’on enseigne dans 
toutes les universités d’Allemagne , et meme en 
Russie; que tout homme pensant se hâte d’étudier 
aujourd’hui , quand il sent le besoin de se refaire 
une éducation qui convienne au monde tel qu’il 
est ; cette science est presque oubliée dans le pra- 


( 77 ) 

gramme de nos Facultés ! Nos gouvernans et nos 
savans auraient-ils hérité de cette prévention qui 
porta un maître impérieux à exiler le plus dis- 
tingué de nos économistes ? 

Sans doute l’économie politique a ses défauts , 
ses théories trop exclusives; sans doute il lui reste 
encore beaucoup à faire, beaucoup de données 
et d’influences à introduire et à coordonner, avant 
que tous ses principes puissent être appliqués ; 
mais elle seule peut donner des idées exactes de 
certains faits sociaux, de certaines institutions. 

Étudiée et professée par des hommes que la 
persécution n’aura pas irrités, elle se dépouillera 
de son exclusiveté , de son caractère d’opposition 
aux actes du gouvernement; elle s’enrichira des 
théories qui lui manquent. Moins méconnue des 
autres sciences , qui l’ont injustement repoussée 
de leur sanctuaire, elle leur fournira et en recevra 
des secours précieux. 

Il faut le dire franchement, nous ne concevons 
pas un négociant, un administrateur, ignorant 
l’économie politique; sans elle leur titre est vain, 
et leur place vide. Nos lois sont imparfaites, nos 
discussions parlementaires sont riches de mots et 
pauvres de résultats , uniquement peut-être parce 
que l’économie politique est ignorée de la presque 
totalité de nos législateurs. 

Et à coté de l’économie politique il est une 
autre science toute nouvelle, presque inconnue , 


( 78 ) 

dont le besoin se fait sentir de plus en plus. Il 
s’agit delà statistique : non de cette statitisque par- 
tielle et trop restreinte qui s’occupe de certaines 
lois empiriques que l’on a démêlées dans le mou- 
vement de la population , et des moyens de sub- 
sistance particuliers à certaines localités ; mais de 
celle qüi envisagerait à la fois tous les besoins 
de l’homme, et tous les moyens qu’il a imaginés 
pour les satisfaire; qui enseignerait l’histoire 
agricole, industrielle et commerciale de tous les 
peuples , leurs moyens de crédit et de finances , 

' leurs relations mutuelles; qui ferait connaître les 
productions propres à chaque territoire; les dif- 
ficultés particulières que la nature ou les institu- 
tions y opposent à la circulation des idées , des 
hommes, des marchandises; qui donnerait la des- 
cription des moyens de transport qui y sont em- 
ployés, les perfectionnemens qu’ils ont successi- 
vement subis, et la manière dont ils ont été 
introduits; qui indiquerait les marchés, les dé- 
bouchés de chaque production ; qui assignerait 
les avantages réels de toutes ces constructions, de 
toutes ces banques , de toutes ces associations qui 
se sont élevées dans les ports où converge le com- 
merce du monde, ou dans les contrées principa- 
lement manufacturières et agricoles. 

On concevra sans peine tout ce qu’une pareille 
science aurait d’utilité; combien de personnes 
courraient entendre le professeur qui l’enseigne- 


( 79 ) 

rait, ou liraient l’ouvrage qui la développerait. 
Eli bien , tous les matériaux de cette science exis- 
tent , il ne s’agit que de les réunir. Un peu de 
bonne volonté de la part de ceux qui tiennent les 
rênes du gouvernement, et, en moins d’un an, 
ses consuls , ses ministres près des cours étran- 
gères , ses marins ou ses voyageurs, ses préfets , 
ses ingénieurs, auxquels il n’a que des ordres à 
donner, lui auraient fourni la plupart de ces ma- 
tériaux. Et bien des gens se trouveraient pour 
les réunir , les coordonner, et indiquer les lacunes 
qui exigeraient de nouvelles recherches. 

Nous ne balancerons donc pas à placer la statis- 
tique, telle que nous venons de la définir , au rang 
des sciences du programme de notre école centrale. 

Puis une dernière science nous paraît généra- 
lement indispensable : c’est la science de notre 
législation, mais dégagée de toutes ces longueurs , 
de ces arguties, de cette longue suite de raison- 
nemens sur des principes au moins douteux, que 
l’on ne doit admettre pour la plupart que comme 
un moyen de transition : car il serait impossible 
que la société nouvelle s’organisât jamais d’une 
manière durable, si les. progrès de la physiologie, 
et par suite ceux de la physique sociale , ne nous 
conduisaient pas à la découverte de quelques 
grandes vérités sur lesquelles nos lois devront 
s’appuyer, dont elles devront être toutes des con- 
séquences logiques. 


1 


( 80 ) 

Ce serait désespérer de l’avenir progressif de 
l’intelligence humaine, que de croire à l’impossi* 
bilité de trouver jamais la solution complète des 
questions si souvent agitées de la peine de mort* 
d’un bon système pénitentiaire, du système mu- 
nicipal, des droits politiques, de l’expropriation 
pour cause d’utilité publique , etc. 

Les sciences théoriques utiles aux industriels * 
autres que celles que nous venons de passer en 
revue , ayant une spécialité beaucoup plus limitée, 
nous n’en parlerons que lorsque nous exposerons 
les programmes des écoles d’application. 


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( 81 ) 


W V\AVV't\V\V\\A/V , \VV\A/\\VVVV\\VVWV\ wvv\ ^VWVVVVV\WVV\V\\\W>\\VVVVV\W\VVWWW 


CHAPITRE IV. 


Programme de l’École centrale. — Cours et exercices pratiques. 
— Dessin linéaire. — Manipulations chimiques. — Cours de 
pratique industrielle ; ateliers de modèles. — Jardin botanique. 
— Bureau de statistique. — Bureau d’administration. — Exercices 
militaires. 


t 


Le cours pratique le plus important, celui dont 
tous les autres auraient besoin , est sans contredit 

V 

celui de dessin linéaire, comprenant : l’explica- 
tion et la confection des épures de géométrie des 
criptive, d’ombre, de perspective, des cartes et 
des plans topographiques. 

On retire de ce genre d’études l’habitude pré- 
cieuse de lire dans l’espace, de voir en quelque 
sorte avec les yeux de l’esprit , les objets de la 
nature ou de l’art les plus compliqués, de conce- 
voir de tète les altérations qu’on veut leur faire 
subir. Il nous paraît difficile de comprendre exac- 
tement ce que représentent des plans et des 
cartes, si l’on n’a pas étudié et pratiqué le dessin 
linéaire. 

Or cette habitude et cette conception sont in- 

6 


( 8*2 ) 

il impensables au directeur d’une vaste exploita- 
tion agricole, qui a des bâtimensà faire construire, 
des surfaces de terrain à modifier, des chemins à 
établir, des canaux d’irrigation à creuser, des ins- 
trumens et des mécanismes à diriger et à perfec- 
tionner; au chef d’une fabrique, d’une manufac- 
ture, d’un grand atelier, où des moteurs, des 
mécanismes, des fourneaux doivent avoir une 
forme et une place déterminées, où mille épures 
sont nécessaires pour le moulage , la préparation 
et la taille des matériaux, la pose des machines 
et des métiers; à l’administrateur, qui doit savoir 
juger les avantages et les inconvéniens de tous les 
travaux publics, tels que ponts, routes, aligne- 
mens de rues, égouts, conduites d’eau, fontaines 
publiques. Qui pourrait dire qu’elles fussent tout- 
à-fait inutiles au négociant, s’il veut avoir une 
connaissance exacte des objets fabriqués qu’il doit 
expédier ou recevoir, de ses magasins, des vais- 
seaux qu’il frète, et aussi des projets d’entreprises 
de chemins de fer et de canaux dont il doit dési- 
rer l’établissement, et qu’il voudrait seconder de 
son crédit et de ses capitaux ? 

La pratique du levé des plans , et l’usage des ins- 
trumens qu’on y emploie, auraient l’avantage de 
donner un exemple frappant de l’ utilité du dessin 
linéaire; nous l’introduisons dans notre program- 
me, non comme une étude indispensable pour 
tons les élèves, mais comme un moyen de nourrir 


( 85 ) • 

les dispositions spéciales de quelques-uns d’entre 
eux. 

Nous devons placer ici un cours pratique d’une 
utilité immense, qui emprunterait à la mécani- 
que, à la physique, à la chimie, l’explication de 
tous les moyens que l’homme a imaginés pour 
utiliser à son profit les forces et les productions 
de la nature. A défaut d’un autre nom qui puisse 
définir cette science , toute nouvelle dans son en- 
semble et sa généralité, nous t’appellerons Cours 
de pratique industrielle. 

Il comprendrait : les propriétés des moteurs , la 
théorie, la composition et la confection des ma- 
chines destinées à les utiliser; les lois connues sur 
la résistance des matériaux; la coupe des pierres; 
la charpente; l’art de fabriquer et de travailler le 
fer et les métaux ; l’art du chauffage ; celui de l’é- 
clairage; la fabrication des produits chimiques; 
enfin tous les arts dont le but et les moyens peu- 
vent être exposés théoriquement. 

Et pour que ce cours ne fût pas une vaine no- 
menclature facile à oublier, il faudrait que son 
étude fût accompagnée des exercices et des ma- 
nipulations pratiques que nous allons indiquer. 

Nous voudrions dans l’établissement de l’école 
centrale, un atelier oû les élèves apprendraient à 
tailler un voussoir dans un bloc de plâtre, et à 
former ainsi les modèles en relief des épures de 
coupe des pierres qu’ils auraient eux- mêmes tra- 

6 .. 


' ( 84 ) 

céés; où ils construiraient avec des briques de pe- 
tit échantillon et du mortier, les modèles des 
fourneaux de toute espèce qui leur auraient été 
décrits dans le cours de pratique industrielle , et 
dont ils auraient fait les plans ; 

Un atelier de tourneur et de ménuiserie où les 
élèves apprendraient à travailler le bois , et où ils 
construiraient eux-mêmes des modèles de machi- 
nes, d’instrumens aratoires, de constructions en 
charpente, toujours sur leurs propres épures; 

Et même un atelier de fondeur et de serrurerie, 
où des praticiens habiles enseigneraient aux élèves 
à mouler des objets en fonte, à forger le fer, à 
travailler le cuivre, et à façonner eux -mêmes 
toutes les pièces métalliques qui leur seraient 
utiles pour compléter leurs modèles. 

Il faudrait qu’une machine à vapeur animât ce 
dernier atelier; que ce moteur y pût être employé 
à mettre en activité des machines à tourner, à per- 
cer les métaux, à diviser, à faire des vis et des 
écrous, à aléser, à planer; toutes si faciles à con- 
duire , si propres à faire sentir l’immense secours 
que l’homme peut tirer de la mécanique pratique. 

Avec de pareils moyens, nous ne doutons pas 
que nos élèves ne parvinssent, à la fin de leurs 
études, à confectionner en commun des machines 
et des pièces assez compliquées. Nous avons vu 
des jeunes gens, guidés uniquement par leurs 
dispositions naturelles , entreprendre seuls la con- 


( 85 ) 

fïection de modèles très, difficiles , et leur donner 
toute la fidélité et toute la perfection ^désirables , 
sans avoir d’autre apprentissage préalable qu’une 
observation attentive dans des ateliers qu’ils avaient 
fréquentés quelque temps. Il est permis de croire 
que des élèves entourés de maîtres habiles et d’ins- 
trumens commodes, obtiendraient le même suc- 
cès, quand bien même ils ne posséderaient pas à 
un aussi haut degré d’intensité la faculté de cons- 
truire. 

Des laboratoires de chimie seraient indispensa- 
bles. Là les élèves répéteraient les expériences du 
cours, fabriqueraient les produits chimiques les 
plus utiles, apprendraient à reconnaître la pré- 
sence' des substances simples dans les minéraux, 
à analyser quelques-uns d’entre eux, tels que des 
pierres calcaires et des minerais de fer, etc. Il est 
inutile de nous étendre beaucoup sur ces manipu- 
lations ; personne ne met en doute leur grande 
utilité. D’ailleurs nos premiers chimistes les ont 
introduites depuislong-temps dans plusieurs écoles, 
en dirigent eux-mêmes la marche et l’étendue, et 
l’on ne saurait mieux faire que de suivre leurs ins- 
tructions. 

Le cours de pratique industrielle, et les exer- 
cices qui l’accompagnent, ont, indépendamment 
de leur but spécial , un but général sur lequel il 
est d’autant plus nécessaire de nous étendre, qu’il 
nous paraît n’avoir jamais été bien compris. 


( 86 ) 

Sans doute la connaissance des machines et des 
arts que l’homme a imaginés pour exploiter la na- 
ture, l’habitude et l’adresse que contractent des 
mains exercées à manier des instrumens et des 
matériaux , sont des acquisitions précieuses , et que 
l’on ne saurait acheter par trop de temps et de 
sacrifices; mais ce ne sont là que des buts spé- 
ciaux ; le but général, que nous allons définir, nous 
semble autrement important. 

Un jeune homme qui n’a suivi que des cours 
théoriques, destinés à le préparer à remplir une 
fonction spéciale dans la société , éprouve ordinai- 
rement une sorte de timidité quand il se trouve 
chargé pour la première fois de diriger une opé- 
ration pratique. Plein du souvenir des efforts qu’il 
lui a fallu faire pour acquérir la connaissance des 
sciences et surmonter les difficultés qu’elles lui 
présentaient, il croit que la pratique eût exigé de 
lui un pareil travail et des études aussi pénibles. 

Lorsqu’il se trouve entouré de praticiens aux- 
quels une longue habitude adonné i’assurance qui 
lui manque, qui ne connaissent rien au-delà du 
travail manuel et routinier qu’ils effectuent, et 
qui témoignent pour la plupart un dédain profond 
pour les sciences théoriques , notre jeune théori- 
cien sent naître en lui une grande méfiance de ses 
moyens; il parait emprunté, ignorant, maladroit, 
à ceux mêmes qu’il devrait diriger, et souvent re- 
pousse , en prétextant son incapacité , les premiè 


( 8 7 ) 

res missions que ses supérieurs le chargent de 
remplir. 

Mais qu’une volonté soutenue, que le courage 
ou la réflexion lui fassent surmonter l’effet fâ- 
cheux de ces premières impressions, il ne tarde 
pas à reconnaître toute la supériorité de l’instruc- 
tion théorique qu’il a reçue, sur l’aveugle routine 
des praticiens exclusifs, se place de lui-méme au 
rang qu’il doit occuper, et acquiert facilement et 
en peu de temps toutes les connaissances prati- 
ques qui lui sont nécessaires. II est meme à crain- 
dre que la réaction de ses idées ne le porte à 
abuser de ses forces mieux senties, et que , comme 
le meunier de la fable , il ne conduise trop rude- 
ment au moulin l’âne revêtu de la peau du lion, 
dont l’aspect l’avait effrayé. 

Qu’un ingénieur en chef envoie un jeune aspi- 
rant récemment sorti de l’École des Ponts-et-Cha lis- 
sées, et en même temps un conducteur éprouvé, 
faire des levées de terrain, ou conduire et diriger 
des constructions; il n’est frappé d’abord que de 
l’incapacité pratique du premier, et de l’imperfec- 
tion de ses premiers essais; il élève même des 
plaintes contre l’abus des sciences théoriques, et 
l’absence de données pratiques dans le cours d’é- 
tudes précédemment suivi par son apprenti; il lui 
préfère son conducteur qui lui fait une besogne 
à laquelle il n’a rien à reprendre, et qui rend si 
facile son propre travail. Mais patience : au bout 


( 88 ) 

de quelque temps l’apprenti a fait un chemin ra- 
pide ; il devient ingénieur, laisse loin derrière lui 
le conducteur stationnaire, et est bientôt en état 
de donner d’utiles conseils à son maître, qui doit 
même souvent s’estimer heureux qu’on ne veuille 
pas lui donner des leçons. 

Et c’est pour éviter ces premières indécisions 
et leur réaction fâcheuse , qui font tant de tort à la 
science aux yeux du vulgaire; c’est pour donner à 
des élèves destinés à conduire des hommes et des 
travaux, une confiance sage et motivée dans la 
puissance de leurs talens acquis; c’est surtout pour 
cela qu’il est indispensable de mélanger avec leurs 
études théoriques, des cours et des exercices pra- 
tiques. 

Quand ils seront bien pénétrés du but des 
inventions humaines, qu’ils auront conduit eux- 
mèmes les machines et les instrumens qui simpli- 
fient, facilitent et perfectionnent les travaux ma- 
nuels ; quand ils auront surtout saisi la puissance 
de ces machines dans le travail du fer, le plus dif- 
ficile de tous, le plus varié, celui qui étonne le 
plus au premier abord, ils se feront une idée 
exacte des arts industriels; ils envisageront, sans 
crainte de faiblir, ce prétendu colosse, la pratique, 
si monstrueux pour des théoriciens purs, étourdis 
par les clameurs des ignorans. 

Pour continuer la marche que nous avons suivie 
jusqu’ici, nous devons indiquer l’utilité réelle du 


t 


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( 89 ) 

cours de pratique industrielle, dans les carrières 
que notre école centrale devrait alimenter. L’a- 
griculteur, placé souvent loin des villes et des ate- 
liers de travail, y puiserait des connaissances 
précieuses pour se tirer d’affaire lorsque ses bâti- 
mens, ses instrumens aratoires ou ses machines 
exigeraient de promptes réparations. Pour le chef 
d’industrie , il serait indigne de l’ètre s’il ne com- 
prenait pas lui-même tout ce qu’il retirerait du 
cours dont il s’agit. Le négociant ,qui sert d’inter- 
médiaire entre le producteur et le consommateur, 
doit connaître tous les besoins des hommes, et 
les moyens qu’ils ont imaginés pour les satisfaire, 
s’il veut donner à sa carrière toute l’étendue et 
toute P utilité désirables. Enfin l’administrateur, 
qui est destiné à veiller sur la vie et la santé des 
hommes, doit connaître les arts industriels, pour 
démêler ce qu’ils ont de pernicieux et y porter 
remède ; combien d’industries minent la santé et 
abrègent la vie de ceux qui les exploitent! On a 
constaté, observé, analysé leurs effets destructeurs; 
mais est-ce là tput ce qu’il faudrait faire ? l’admi- 
nistrateur est complice de toutes ces destructions 
d’hommes, quand il reste impassible devant elles > 
et qu’il ne témoigne pas au moins par ses efforts, 
tout le désir qu’il a qu'on puisse les éviter. 

Les études pratiques que nous avons indiquées 
ne sont pas les seules qu’il serait important d’in- 
troduire à l’école centrale. 


( 90 )-, 

Cet établissement devrait contenir un jardin ou 
seraient cultivés les plantes, les arbustes et les 
arbres utiles de nos climats; des serres où pour- 
raient croître les végétaux des régions équinoxia- 
les, dont rhomme a tiré parti. Les travaux d’en- 
tretien de ce jardin et de ces serres seraient 
confiés aux élèves, sous la direction de praticiens 
habiles. 

Un immense bureau de statistique serait orga- 
nisé de manière à y employer tous les élèves. Là 
ils recueilleraient, classeraient, coordonneraient, 
tous les renseignemens relatifs à ragriculture, à 
l’industrie et au commerce du monde entier, qui 
leur parviendraient par les journaux, et par la 
correspondance qu’ils établiraientt à cet effet, avec 
nos consuls, nos administrateurs, nos négocians , 
les chefs de nos industries, nos ingénieurs, et les 
directeurs de nos fermes-modèles. Us publieraient 
le résumé de leur travail à différentes époques de 
l’année. lisseraient chargés de répondre aux ques- 
tions de statistique qu’on adresserait à leur bu- 
reau. , 

Le droit de recevoir un exemplaire de leurs pu- 
blications , de puiser dans les archives de leur bu- 
reau , et de lui adresser des demandes de rensei- 
gnemens, serait uniquement accordé aux anciens 
élèves de l’établissement, à ceux qui auraient ob- 
tenu à la sortie un brevet de capacité. On pour- 
rait toutefois l’accorder aussi , mais pour un temps 


( 9< ) 

limité , à toute personne qui aurait fourni des don- 
nées utiles. 

Enfin, comme un dernier cours pratique, nous 
voudrions que les élèves fussent employés dans les 
bureaux d'administration de l’établissement lui- 
même, après avoir été suffisamment préparés à ce 
genre d’occupation , par quelques leçons sur la te- 
nue des livres et la correspondance commerciale et 
industrielle. Nous ne voyons guère que le bureau 
des études et celui de la caisse qui dussent être 
conduits par des étrangers; et encore, dans ces 
parties , il y a bien des cas où l’avis des élèves se- 
rait indispensable. 

On remarque dans certaines écoles où un grand 
nombre de jeunes gens vivent en commun, une 
tendance à se grouper, à se réunir en masse, 
pour faire des réclamations , des demandes qu’ils 
croient justes; à envoyer des députations pour re- 
mercier leurs professeurs ou leur faire d’humbles 
représentations , ou même pour honorer des hom- 
mes qu’ils croient dignes de la reconnaissance pu- 
blique ; au lieu de craindre et de réprimer cet es- 
prit de corps et d’association , il nous semblerait 
plus adroit et plus rationnel de le tolérer, et même 
de le régulariser. 

Pourquoi les relations mutuelles des élèves, les 
conflits qui peuvent survenir au milieu d’eux , cette 
éducation de sociabilité et d’égalité quelquefois 
si nécessaire à leurs nouveaux camarades, la part 


( 92 ) 

d’action et d’influence, quelque faible qu’elle soit* 
qu’ils peuvent avoir sur les évènemens qui se pas- 
sent en dehors de leur petite société, ne seraient 
ils pas conduits, réglés jugés, par des institu- 
tions dont la création leur appartiendrait , où le 
système de l’élection aurait certainement la plus 
grande part, et qui leur donneraient l’idée, et en 
quelque sorte l’apprentissage du monde et du 
gouvernement extérieurs ? Nous sommes persuadés 
que la tolérance que les chefs de l’école centrale 
apporteraient dans ces occasions, donnerait plus 
de poids à leurs conseils et à leurs raisons , lors- 
qu’ils voudraient arrêter les abus de cet esprit de 
liberté. 

Nous voudrions enfin que nos élèves fussent 
exercés au maniement des armes , même de l’ar- 
tillerie, et qu’ils formassent une partie active de la 
garde nationale , afin qu’au jour de l’émeute et du 
danger de la patrie, ils eussent une place détermi- 
née que l’honneur ne leur permettrait pas d’aban- 
donner. C’est suivant nous le seul moyen de maîtri- 
ser, au profit de l’ordre et de la discipline, la fougue 
et la témérité de la jeunesse , qu’une sorte de fièvre 
de courage et d’audace entraîne sur la place pu- 
blique quand la guerre civile menace d’y éclater, 
et qui la pousse à se joindre aux perturbateurs, 
plutôt que de rester inactive dans les momens de 
crise politique. 


✓ 


( 93 ) 


*V\ l \ > v\1 VWV -VA VV> WV VV\ VMMMMVM WN'VVX wvwyiwwi A»\V\VV>VM 


CHAPITRE V. 


Oe l’École Polytechnique. — De l’examen d’entre'e à l’École 
centrale. — De la distribution des études dans cet établisse- 
ment. 


Nous voici parvenus à la fin de la partie la plus 
importante de la tâche que nous nous sommes im- 
posée. La formation, le but de notre école cen- 
trale, et la discussion de son programme, sont les 
bases fondamentales du système que nous propo- 
sons. Nous croyons avoir fait sentir que cette 
création nouvelle serait immensément utile, qu’elle 
satisferait à des besoins qui caractérisent la généra- 
tion actuelle. Il nous reste à prouver maintenant 
que ce système serait applicable immédiatement, et 
qu’il ne remontrerait pas d’obstacle impossible à , 
surmonter. Tel sera principalement le résultat de 
nos recherches sur les écoles spéciales qu’il convien- 
drait de créer, et sur les moyens de leur donner le 
crédit et l’importance nécessaires. 

Mais avant d’aborder ces nouvelles questions , il 
ne sera pas inutile de dire quelques mots sur l’ai- 


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( 94 ) 

liance possible des institutions que nous propo- 
sons, avec celles anologues qui existent, qui ont 
* produit d’immenses résultats, mais qui, restées sta- 
tionnaires, tombent en décadence, et ne tarderaient 
pas à périr de vieillesse , si on ne se hâtait de les 
modifier, de les rajeunir, de leur donner enfin une 
constitution intérieure et une destination plus en 
harmonie avec les besoins de l’époque. 

Nous avons déjà dit de quelle grande idée était 
née l’École Polytechnique, les circonstances qui 
avaient rétréci et limité son influence et sa destina- 
tion , celles qui avaient empêché qu’elle ne fut re- 
constituée sur une hase plus large et plus conforme 
au but primitif de sa création. Mais nous ne nous 
sommes pas assez étendus sur l’immense influence 
qu’elle a eue sur les progrès et les idées de notre siè- 
cle , malgré les obstacles qui la gênaient , malgré le 
faux emploi que l’on en faisait. Nous y reviendrons 
encore, car l’École Polytechnique offre en quelque 
sorte la partie expérimentale du système d’éduca- 
tion professionnelle que nous proposons. 

Si les sciences positives ont fait tant et de si 
utiles progrès depuis quarante ans, c’est parceque 
l’École Poytechnique existait. Suivez ses élèves 
dans les corps spéciaux, dans l’instruction publi- 
que, à l’Académie des Sciences , sur la liste de noms 
célèbres que notre époque lègue à la postérité, et 
voyez s’ils ne sont pas partout des plus distin- 
gués , des plus nombreux relativement à la petite 


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( 95 ) 

quantité de ceux que nos guerres de la révolution 
et de l’empire n’ont pas enlevés à la fleur de l’âge. 

Si nous avons quelques bons chefs d’industrie , 
quelques bons directeurs de mine, d’usine, de 
fabrique; si les arts chimiques ont fait tant de pro- 
grès chez nous, qui pourrait nier que l’École Po- 
lytechnique ne soit la source réelle de tous ces 
biens? que de noms nous pourrions citer qui ban- 
niraient tout doute à cet égard ! 

S’il existe des cours destinés à propager parmi 
les ouvriers les connaissances utiles, c’est parce 
qu’un élève de l’École a conçu cette belle idée ; 
c’est parce que d’autres élèves se sont offerts pour 
la mettre à exécution. 

Si la seule des sciences naturelles que ces élèves 
soient à même d’étudier dans leurs écoles d’appli- 
cation , si la géologie a fait depuis peu de si grands 
progrès, si elle s’est élevée si rapidement au rang 
des sciences positives, n’est-ce pas l’œuvre du petit 
nombre d’élèves de l’École qui s’en sont occupés? 

Si nos travaux publics offrent de si beaux mo- 
dèles de construction aux nations rivales et ja- 
louses de la nôtre, qu’elles s’empressent de les 
imiter; si tel ingénieur anglais, faisant son tour 
d’Europe, n’a rapporté de ses voyages qu’une ad- 
miration enthousiaste et fantastique pour quel- 
ques-uns de nos ponts; si des routes admirable- 
ment bien tracées ont aplani les obstacles qui 
nous séparaient de nos voisins; si dans les temps 


( 96 ) 

de notre gloire militaire, les pays conquis ont vu 
leurs communications se multiplier, leurs marais 
se dessécher, c’est que l’École Polytechnique avait 
formé nos ingénieurs. 

Si tant de fois, dans des combats gigantesques 
où nos années étaient accablées par le nombre de 
leurs ennemis, notre artillerie a ramené la victoire 
sous nos^drapeaux, n’est-ce pas parce que ses offi- 
ciers, sortis de l’École, marchaient de sang-froid à 
une mort certaine ? Ah ! si le grand capitaine de 
nos temps modernes a profondément réfléchi sur 
toutes les causes de ses succès et de ses revers, 
dans ces îles d’exil où l’École Polytechnique avait 
ses représentai de fidélité au malheur et à la dis- 
cipline, a-t-il pu oublier tout ce qu’il devait à cette 
École ? n’a-t-il pas dû regretter de n’avoir pas assez 
ménagé ce qu’il appelait sa poule aux œufs dor? 

Si des intérêts politiques mal entendus, si des 
rivalités passionnées et un patriotisme injuste 
n’aveuglaient pas les chefs des gouvernemens 
étrangers, ne reconnaîtraient-ils pas tout le bien 
qu’un petit nombre d’élèves de l’École, bannis 
ou sortis de France, ont fait dans leurs états? Ne 
leur doivent-ils pas des travaux importans, des 
corps entiers d’hommes instruits et d’ingénieurs 
distingués auxquels ils ont enseigné les sciences 
et les arts, dans des écoles qu’ils ont créées ou mo- 
delées sur celle dont ils étaiènt sortis? 

Que l’on compte le nombre des hommes que 


( 97 ) 

l’École Polytechnique a formés, qu’on en retranche 
la plus grande partie morte prématurément au 
champ ‘ d’honneur , et qu’on envisage en même 
temps l’influence que, le petit nombre de ceux 
qui ont survécu à cette destruction a exercée sur 
les sciences et l’industrie, sur la gloire et l’honneur 
de notre nation , et l’on sera convaincu des immen- 
ses résultats que peut produire une instruction so- 
lide basée sur la connaissance des sciences positives. 

Et cependant quel parti tire-t-on de cette élite 
de la jeunesse française? Le plus grand nombre sert 
à alimenter les corps d’officiers du génie et de l’ar- 
tillerie ; là ils sont maintenant forcés de végéter 
dans l’inaction et l’obscurité, ou de donner leur 
démission pour venir tenter dans le monde actif 
l’admission à quelque emploi où leurs talens puis- 
sent se développer. 

N’est-il pas temps d’abandonner un système 
aussi défectueux , en augmentant le nombre des 
corps spéciaux qui recrutent leurs membres à l’É- 
cole Polytechnique? Et si la sûreté de l’État exige 
que l’artillerie et le génie y puisent leurs officiers, 
n’existe-t-il aucun moyen de leur offrir, en temps 
de paix, l’occasion d’utiliser la puissance de leurs 
moyens acquis? 

Laissera-t-on s’élever, à côté de cette institution 
nationale, des établissemens particuliers, destinés 
à répondre aux vrais besoins de l’époque que le 
gouvernement semble ne pas sentir, qui absorbe- 

7 


( 98 ) 

rout la partie la plus distinguée de la génération 
nouvelle, pour lui donner une éducation pro- 
fessionnelle plus en harmonie avec nos moeurs et 
nos idées actuelles, mais qui sera restreinte, dans 
sa perfection et son étendue , par le crédit et l’in- 
fluence limités de ceux qui la dirigent ? 

Oui, nous en sommes convaincus, le jour où 
nos gouvernansn et nos législateurs sentiront 
qu’il faut entreprendre d’immenses réformes pour 
faire sortir la France de Vétat de crise et d’anar- 

» 

chie pacifique qui la mine , celle que nous indi- 
. quons ne sera pas la dernière à frapper leurs regards. 

Quand on s’occupera sérieusement de l’institu- 
tion dont il s’agit, pour lui donner le caractère de 
généralité qui lui convient, on ne saurait se dis- 
penser de modifier la nature des examens d’en- 
trée, de simplifier l’étude des mathématiques qu’on 
exige des candidats , enfin , d’introduire dans les 
cours de cette école les sciences que nous y avons 
énumérées. Et alors l’Ecole Polytecnique pourrait 
fournir ses élèves non seulement aux écoles spé- 
ciales d’artillerie et du génie, des ponts-et-chaus- 
-sées et des minés , mais encore à celles de l’agri- 
culture, de l’industrie, du commerce et de l’ad- 
ministration. x . , i 

« - 'a 

Les sciences font deux genres de progrès bien 
distincts : les uns sont les découvertes qui aug- 
mentent leur domaine, les autres sont les théories 
nouvelles qui coordonnent et facilitent de plus en 


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(• 99 ) 

plus l’étude des découvertes antécédentes. Dans 
l’histoire de chaque science , ces travaux d’exten- 
sion et de simplification se succèdent, se croi- 
sent, se superposent en quelque sorte ; mais quand 
son domaine est devenu stationnaire, soit parce 
qu’il a réellement atteint sa limite naturelle, soit 
parce que d’autres sciences doivent marcher avant 
qu’il s’étende de nouveau , les travaux de simplifi- 
cation sont évidemment les seuls qu’il faille entre- 
prendre, et qui aient quelque valeur. Que si , par 
une circonstance particulière , l’enseignement d’une 
science en repos se complique , cette circonstance 
est funeste et rétrograde. 

Le mode d’examen d’entrée à l’École Polytech- 
nique nous paraît avoir produit ce fâcheux résul- 
tat. Quoi de plus stationnaire à l’époque actuelle, 
que l’arithmétique, la géométrie, l’algèbre pro- 
prement dite, et l’application de l’algèbre à la 
géométrie, telles qu’elles sont définies dans le 
programme d’admission ? Et cependant les ou- 
vrages élémentaires destinés à former les candi- 
dats grossissent et se multiplient dans une pro- 
portion effrayante : chaque année voit éclore de 
nouvelles éditions considérablement augmentées. 
C’est justement le contraire de ce qui devrait 
arriver, si les vrais progrès de la science n’étaient 
pas arrêtés par quelque mauvaise institution. 

Les examinateurs, qui doivent non-seulement 
juger si les différens candidats ont les connais- 


7 - 


( 100 ) 

sances suffisantes, mais encore assigner leur me* 
rite relatif, pour déterminer leur classement , sont 
obligés de leur faire des objections, des questions 
toutes particulières, afin de démêler dans la spon- 
tanéité de leurs réponses* l’étendue plus ou moins 
grande de leur intelligence et de leur capacité. 
Ces objections, ces questions, qui sont pour la 
plupart fort peu importantes pour la science en 
elle-même, sont recueillies avec soin par les pro- 
fesseurs; leurs énoncés, et les réponses que l’exa- 
minateur paraît préférer, vont grossir les cours de 
l’année suivante , et les nouvelles éditions des 
ouvrages élémentaires. La tâche de l’examinateur 
devient alors de plus en plus difficile , et. il nous 
semble impossible que son jugement sur le clas- 
sement des candidats puisse être exempt de graves 
erreurs, dans l’état où cette progression mons- 
trueuse a conduit l’enseignement de la science. 

Les considérations qui suivent feront concevoir 
la véritable cause de cernai évident. 

Quand on suit les progrès des élèves de nos 
collèges, en mathématiques élémentaires et spé- 
ciales, on remarque qu’un certain nombre d’entre 
eux, un tiers environ, comprennent les théories 
qu’on leur expose. Elles sont inintelligibles pour les 
autres, qui ne parviennent qu’à force de mémoire 
à répéter passablement ce qu’on leur enseigne. 

La nature indique ici, d’une manière tranchée, 
qu’elle n’a pas donné à toutes les intelligences 


la facutlé de réussir dans les sciences de raisonne* 
ment. C’est contrarier ses manifestations, ou s’oc- 
cuper d’une œuvre monstrueuse, que de lancer 
dans la carrière des mathématiques des êtres in- 
capables de la suivre avec profit, et qui auraient 
peut-être pu se distinguer en suivant une route 
différente. C’est agir avec autant d’imprévoyance 
et même d’injustice, que de fermer cette carrière 
aux jeunes gens que leurs dispositions organiques 
rendent capables d’y être utiles. 

Or c’est ce que l’on fait en limitant le nombre 
des élèves de l’Ecole Polytechnique, et en ren- 
dant longues et difficiles les études nécessaires 
aux candidats. Deux années sont maintenant 
à peu près indispensables pour acquérir les con- 
naissances exigées. Comme passé vingt ans on ne 
peut plus se présenter, l’examinateur croit qu’il 
est juste de favoriser, à mérite égal, les candidats 
qui ont atteint cette limite, au détriment de ceux 
qui ont encore un ou deux ans devant eux. Il ré- 
sulte de là que beaucoup de jeunes gens se pré- 
sentent deux, ou même trois fois avant d’entrer 
dans l'École, et que, trop souvent, après quatre ou 
cinq ans d’études forcées en mathématiques élé- 
mentaires et spéciales, un jeune homme, cons- 
tamment refusé, atteint vingt ans, et est obligé 
de recommencer d’autres études pour suivre une 
autre carrière. Qu’on juge du désespoir de ce jeune 
homme et de ses parons! Quatre ou cinq années, 


( 102 ) 

des plus précieuses de la vie , totalement perdues î 
N’y eût- il qu’un seul exemple de cette nature, 
il suffirait pour faire rejeter l’état de choses qui 
Faurait produit., . ; 

Mais c’est qu’il est du devoir d’un gouverne- 
ment sage et paternel, quand il présente aux, 
jeunes gens une carrière honorable et enviée qui 
exige de leur part de grands sacrifices, d’y ad- 
mettre tous ceux qui y sont portés par leurs 
dispositions organiques , et de ne rejeter que ceux 
qui se sont en quelque sorte trompés sur leur 
véritable destination , en venant tenter des études 
étrangères à la nature de leurs facultés. 

La quantité d’élus pour les sciences de raison- 
nement n’est pas aussi considérable qu’on pour- 
rait le penser. Le nombre des candidats qui se 
présentent annuellement à l’École Polytechnique , 
ou plutôt qui se présentaient du temps de l’em- 
pire, lorsque la conscription ne laissait guère que 
cette porte aux jeunes gens qui ambitionnaient 
une autre place que celle de soldat, semble indi- 
quer qu’en France, tout au plus trois ou quatre 
cents jeunes gens, par année, peuvent prouver 
qu’ils sont propres à cultiver les sciences posi- 
tives, d’une manière utile et profitable. 

Ces trois ou quatre cents candidats ont tous des 
droits égaux pour entrer à l’École. Le gouverne- 
ment leur doit également à tous de les former, 
de leur donner une éducation professionnelle , de 


. ( 105 ) 

les placer de manière à ce qu’ils puissent utiliser 
leurs talens acquis. Il est de son intérêt , qui ne 
peut être que celui de la nation , de ne laisser 
inculte aucune de ces intelligences privilégiées 
que la nature semble avoir répandues avec tant 
de parcimonie parmi les hommes. 

Pourrait-on soutenir que le gouvernement n’ait 
pas trois ou quatre cents places à donner, par 
année, à des hommes ayant reçu une éducation 
positive ? Indépendamment des carrières si res- 
treintes qui se recrutent actuellement à l’École 
Polytechnique , celle de l’instruction n’offre- t-el le 
pas un immense débouché? L’expérience ne 
prouve-t-elle pas tous les jours que l’École Poly- 
technique est la meilleure de toutes les écoles 
normales pour l’enseignement des sciences? Et 
s’il nous a été donné de faire partager notre con- 
viction à nos lecteurs, les carrières nouvelles que 
nous avons signalées n’attendent-elles pas que des 
hommes positifs viennent les tirer de l’état de 
langueur et d’ignorance dans lequel elles se trou- 
vent? 

Ainsi les examens à notre école centrale auront 
uniquement pourvut de distinguer parmi les can- 
didats ceux auxquels il a été accordé de comprendre 
quelque chose aux sciences abstraites et positives, 
et de rejeter ceux que le genre de leurs facultés 
doit conduire sur d’autres directions. Aucun clas- 
sement n’est necessaire ; le nombre des candidats 


( «MO- 

reçus ne doit avoir d’autre limite que celle indi- 
quée par la nature. Si ce classement était indis- 
pensable dans l’école, un ou deux mois d’études y 
et des examens partiels, permettraient de l’opérer 
avec beaucoup moins de chances d’erreur, i 

Et pour diminuer autant que possible le temps- 
que les candidats devraient consacrer à tenter une 
carrière qui pourrait ne pas leur réussir, nous ré- 
duirons le programme d’admission aux seules con- 
naissances à exiger pour que l’examinateur puisse 
porter un simple jugement de capacité. L’arith- 
métique, mais dépourvue de cette multitude de 
propositions étrangères qui ne sont que de l’al- 
gèbre déguisée; la géométrie élémentaire , mais 
dégagée de toutes ces répétitions de démonstration 
par l’absurde , qui n’ont d’autre but que d’éviter 
l’idée de X infini ou de limite , à laquelle il faudra 
cependant que l’élève s’habitue tôt ou tard ; l’al- 
gèbre, mais réduite aux équations des deux pre- 
miers degrés; enfin quelques notions sur l’appli- 
cation de l’algèbre à la géométrie; voilà tout ce qui 
composera notre programme d’admission pour la 
partie des mathématiques. Mais nous exigerons que 
l'examen porte aussi sur les connaissances en géo- 
graphie, en histoire , en langues vivantes , en phy- 
sique, en histoire naturelle, que l’élève peut avoir 
acquises dans le cours de ses études collégiales. 

On pourrait craindre qu’une trop grande faci- 
lité de la part de Texaminateiu: ne fît entrer dans 


( 105 ) 

l’école des sujets incapables d’en suivre les cours ; 
mais les personnes qui ont été à même de suivre 
le développement de l’intelligence d’un grand 
nombre de jeunes gens , savent combien est tran- 
chée la ligne de séparation des élèves en mathéma- 
tiques de nos collèges , qui peuvent ou ne peuvent 
pas les comprendre , et ce serait vraiment lui ac^ 
corder trop peu de savoir et de pénétration , que 
de supposer» que l’examinateur pût commettre un 
grand nombre d’erreurs de cette nature. D’ailleurs 
on pourrait facilement l’empêcher de compro- 
mettre ainsi, plusieurs années de suite, le succès 
de rétablissement. ; 

De cette manière , le reste des mathématiques 
spéciales, que les élèves devraient connaître avant 
d’aborder l’analyse infinitésimale, serait enseigné 
dans l’intérieur de l’école centrale, au* commen- 
cement du cours de mathématiques pures. Il pour- 
rait alors être professé d’une manière plus ration- 
nelle , plus simple , plus philosophique et beaucoup 
plus profitable qu’il ne l’est aujourd’hui.Ceserait au- 
tant d’enlevé à l’esprit de spéculation, autre source 
si évidente des maux que nous avons signalés. : 1 

Il est hors des limites de cet ouvrage d’entrer 
ici dans les détails de la distribution des cours de 
notre école centrale pendant les trois années 
d’études. Nous sommes convaincus qu’en réduisant 
l’enseignement des sciences que nous avons énu- 
mérées aux seules parties réellement utiles on 


( 106 ) 

trouverait le moyen de coordonner le nombre des 
leçons, des répétitions, le temps des études, celui 
des manipulations et des exercices pratiques, de 
telle sorte que les élèves pussent en profiter sans 
trop de fatigue, et y trouver assez de variété , y 
prendre assez d’intérêt, pour limiter ou même sup- 
primer le temps de repos auquel on donne le 
nom de récréation , et dont le besoin n’est, sui-^ 
vant nous, que la preuve évidente de l’imperfec- 
tion de l’enseignement, et du peu de soin que 
l’on prend pour rendre les études attachantes. 

N’est-il pas permis de croire que nos élèves 
trouveraient autant de charme et de délassement 
d’esprit à façonner des modèles dans nos divers 
‘ ateliers , à conduire et diriger les machines qui y 
seraient en activité, enfin à tous les exercices 
pratiques que nous avons indiqués , qu’à tous les 
jeux qu’il est possible d’imaginer ? 

Nous voudrions, d’ailleurs, qu’ils eussent été 
consultés pour établir les règlemens concernant 
l’emploi varié de leur tèmps, de telle sorte qu’ils 
eussent force de loi parmi eux, sans qu’ils pussent 
leur attribuer rien d’arbitraire ni d’irréfléchi ; 
mais que , hors les heures des leçons orales , une 
grande liberté leur fut accordée dans les salles d’é- 
tude, dans les ateliers et les laboratoires où ils 
devraient se trouver. Une simple surveillance, 
pour éviter les erreurs ou empêcher les destruc- 
tions , nous semble suffisante. 


I 


I 


( 107 ) 

Viendraient ensuite les examens particuliers et 
généraux , l’inspection des travaux graphiques et 
manuels , qui permettraient à des juges éclairés , 
mais sévères, de décider si les élèves auraient 
suffisamment utilisé le temps et les moyens qu’on 
avait mis à leur disposition. Des réprimandes sage- 
ment motivées, des privations d’exercices favoris, 
et , plus que tout cela , de mauvaises notes , qui 
entreraient en balance lorsqu’il s’agirait de leur 
accorder ou de leur refuser un brevet de capacité 
à la sortie de l’école, suffisent pour exciter le zèle 
et l’activité des jeunes gens de dix-huit à vingt-un 
ans, que leurs moyens naturels ont mis au-dessus 
de leurs contemporains, et en qui des idées d’a- 
venir et de prévoyance se font toujours remar- 
quer. 



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CHAPITRE VI. 


* * 


Des Ecoles spéciales de l’Agriculture, de l’Industrie, du 
*•' Commerce, et de l’Administration. 


i ! • > ! ’ ' > / 


Avant de discuter les programmes des quatre 
écoles spéciales qu’il conviendrait de créer, nous 
devons parler des moyens dont le gouvernement 
peut disposer pour leur donner tout le crédit et 
l’importance nécessaires. Le succès de ces écoles 
exige impérieusement que les élèves qu’elles doi- 
vent former , trouvent à la sortie de ces établis- 
semens une position fixe et déterminée dans la 
société , une place assurée dont l’avenir puisse sa- 
tisfaire leur goût et leurs espérances , ou des avan- 
tages positifs d’une grande valeur. Cette nécessité 
ne nous paraît que transitoire. 

Quand l’agriculture aura fait plus de progrès en 
France, quand les petits propriétaires auront senti 
tout l’avantage qu’ils retireraient à réunir les terres 
qu’ils possèdent, en fermes plus étendues, à les 
confier à des praticiens ou à des agriculteurs ins- 
truits et économes ; lorsque quelques essais dans 


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( 109 ) 

ce genre d'association * auront fait comprendre la 
facilité qu’elle offrirait de mobiliser la propriété 
territoriale, et les immenses avantages de cette 
mobilisation une école spéciale, d’agriculture 
n’aura pas besoin que le gouvernement s’occupe 
du placement des sujets qu’elle fournira, ou qu’il 
leur assure des avantages particuliers. 

Quand notre commerce sera plus étendu et 
mieux conduit; lorsqu’un système de voies de 
•communication complet et bien coordonné , lui 
aura offert des marchés et des débouchés plus 
nombreux et plus sûrs ; que l’expérience aura in- 
diqué aux négocians tout l’avantage qu’ils peuvent 
retirer d’une connaissance approfondie des sciences 


et des arts, notre ' école spéciale' de commerce 
n’aura plus besoin de la tutelle du gouvernement; 
un de ses élèves; muni d’un brevet de capacité, 
trouvera facilement de l’emploi. 

1 II en sera de même de notre école spéciale de 
l’industrie , quand des chefs intelligens et instruits 
se seront multipliés à la tête de nos mines, de 
nos usines, de hos ateliers, de nos fabriqués et 
de nos manufactures ; quand enfin un grand nom- 
bre d’hommes sortis de toutes nos écoles auront 

• 9 * , • '* i 

prouvé, par une longue expérience, que la pratique 
unie à la théorie est infiniment supérieure à la 
pratique seule.* ' ' '* . r 1 * ‘ 

Quant à l’école spéciale de l’administration, sa 
nature est d’être constamment sous la tutellè du 


( HO ) 

gouvernement. Il devra toujours y puiser une 
partie de ses secrétaires d’ambassade, de ses con- 
seillers de préfectures , de ses sous -préfets, etc. 
Quand ses diplomates et ses consuls connaîtront 
mieux le commerce ou les travaux pacifiques de 
• l’industrie et de la science; quand leur séjour à 
l’étranger sera employé à connaître et à utiliser 
les expériences coûteuses que font nos voisins, 
à étudier les procédés nouveaux ou inconnus , et 
à introduire en France ceux que ne repoussent pas 
les différences du sol, du climat, du caractère 
national , les Chambres cesseront de renouveler 
leurs doléances annuelles sur les sommes que dé- 
. pense le ministère des affaires étrangères en frais 
de représentation. Peut-être ce moyen coûteux de 
soutenir à l’étranger l’honneur de la nation parai- 
tra-t-il moins indispensable, quand les qualités per- 
sonnelles de ses représentai pourront mieux y 
suppléer. D’ailleurs l’opposition des partis perdra 
son caractère hostile et haineux quand des études 
soutenues, une vaste instruction et une capacité 
incontestable seront l’unique moyen de s’élever 
dans la hiérarchie administrative. 

Quelles que soient les épreuves par lesquelles 
il faudra passer pour parvenir à ces hautes po- 
sitions sociales , elles ne cesseront pas d’être un 
objet d’ambition , et l’école d’administration sera 
toujours recrutée. Mais aujourd’hui il faut assurer 

d’une manière plus positive le sort des élèves de 

% * * 

Ti # •* 


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( Ht ) 

nos écoles spéciales de l’agriculture, de l’indus- 
trie et du commerce, ou au moins leur offrir des 
avantages particuliers et recherchés. 

Nous supposons que les brevets de capacité, à la 
sortie de ces écoles, ne seraient accordés qu’aux 
élèves qui auraient donné des preuves de savoir 
non équivoques, et subi des examens d’une grande 
sévérité. C’est une condition indispensable pour 
la réussite des établissemens que nous proposons. 

D’après cela , on pourrait accorder les droits 
politiques d’élection et d’éligibilité aux contri- 
buables porteurs de ces brevets , qui ne paieraient 
qu’une portion du cens exigé. Nous ne connais- 
sons pas de garantie qui fût moins illusoire. 

Les élèves de nos écoles spéciales jouiraient, 
durant leur séjour dans ces établissemens, d’un 
traitement semblable à celui des élèves des Écoles 
des Ponts-et-Chaussées et des Mines. Ce traite- 
ment pourrait leur être conservé pendant un 
nombre déterminé d’années après leur sortie, afin 
de leur donner le temps de se caser dans la 
société. 

Les fermes-modèles , dont nous avons indiqué 
l’utilité, et que le gouvernement devrait ré- 
pandre ou multiplier sur le territoire, offriraient 
un large débouché aux élèves de l’école d’agri- 
culture. 

Les usines et les fonderies de l’État recrute- 
raient leurs employés à l’école de l’industrie. Il 


.( 112 ) 

pourrait être créé une place (l'industriel à chaque 
préfecture ou sous-préfecture , pour remplacer ou 
aider ce que l’on nomme X architecte de la ville , 
sorte d’employé qui se trouve souvent chargé de 
travaux hors de sa portée. Ces débouchés seraient 
bien suffisans pour entretenir notre école spéciale 
de l’industrie, jusqu’à ce qu’elle eût acquis le cré- 
dit nécessaire pour se passer de la tutelle du gou- 
vernement. 

L’État pourrait donner aux élèves sortis de l’é- 
cole de commerce des places au ministère des 
finances, parmi ses consuls et vice-consuls, y 
puiser des receveurs de contributions. Pourquoi 
ne serait-il pas accordé aux premiers élèves de 
l’école du commerce, des prix ou des prêts assez 
considérables pour qu’ils pussent s’associer avec 
d’anciennes maisons de commerce ou en créer de 
nouvelles ? Ces premiers sacrifices seraient bientôt 
compensés par la plus grande instruction qu’ils 
répandraient dans le corps des négocians de nos 
ports et de nos principales villes. ' *♦ 

Mais cessons de désespérer du bon sens et de la 
bonne volonté de tous ceux qui exploitent actuel- 
lement les carrières correspondantes à nos écoles 
spéciales : il en existe beaucoup auxquels il ne 
manque rien pour faire des praticiens distingués ; 
il en est d’autres, moins instruits, qui sentent 
profondément tout ce qu’on aurait dû leur ap- 
prendre; et nous ne doutons pas que notre système 

« * 


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( Ai 5 ) 

d'éducation professionnelle n’obtienne leur assen- 
timent. Jtous croyons fermement qu’ils appuie- 
raient de leur crédit et de tous leurs moyens les 

établissemens que nous proposons , et que leurs 
fils ou ceux de leurs amis viendraient y pui- 
ser une éducation solide, sans être attirés par 
les avantages que le gouvernement pourrait leur 
offrir. 

Et il est encore un moyen précieux de donner 
de l’importance à nos écoles centrale et spéciales , 
c’est d’en ouvrir l’entrée aux étrangers qui le 
demanderaient , et qui satisferaient aux examens 
d’admission. Si ce privilège était accordé aux Amé- 
ricains, aux Suisses et aux Belges, dont la politique 
semble liée à la nôtre , au moins pour quelque 
temps , ne serait-ce pas un moyen puissant de res- 
serrer encore plus étroitement ces liens passagers, 
et même de leur donner un long avenir? 

Pourquoi même n’y admettrait- on pas des sujets 
des autres nations, auxquelles leur position géo- 
graphique ou le degré de leur civilisation donnent 
des intérêts différens, qui les entraînent dans une 
direction politique opposée à la nôtre ? Parmi les 
nations civilisées, aucune n’a adopté un système 
d’éducation aussi libéral que le nôtre : à Paris et 
dans quelques villes de province , des cours gra- 
tuits, confiés à l'élite de nos sa vans, sont ouverts 
en grand nombre; nul n’en est exclu, quelles que 
soient sa patrie et ses sympathies politiques. La 

8 • 


( 114 ) 

France a recueilli déjà une partie des avantages 
que devait lui assurer cette politique généreuse : 
l’influence que la civilisation française exerce sur 
celle des autres pays, l’universalité de notre langue, 
le caractère contagieux que contractent chez nos 
voisins les idées dominantes chez nous, en sont 
le fruit;; et dans les circonstances menaçantes 
qui nous environnent , les sympathies secrètes 
qui existent dans les camps ennemis sont, après 
l’énergie ^nationale et notre confiance en nous* 
mêmes, le plus sûr rempart que nous puissions 
opposer aux passions guerrières qui s’arment 
contre la France. 

Nous allons maintenant présenter les program* 
mçs des quatre écoles spéciales que nous propo- 
sons de créer. Les cours d’études théoriques et 
pratiques que nous y avons introduits ont un but 
spécial tellement évident, qu’il ne nous a pas paru 
nécessaire d’en motiver Futilité par de longs dé- 
veloppemens. 

. Il doit exister, vers le centre de la France, une 
étendue de terrain de quelques lieues carrées, où 
l’on puisse entreprendre avec un égal avantage 
toutes les principales cultures indigènes. C’est là 
que serait placée l’école spéciale de l’agriculture ; 
elle serait organisée en une vaste ferme avec toutes 
ses dépendances. 

Les élèves suivraient dans cet établissement 
plusieurs cours que nous allons énumérer; nous 


( 115 ) 

indiquerons en même temps le genre des études 
> pratiques qui leur correspondraient. 

Un cours complet de botanique et d’agriculture. 
Tous les travaux des champs et de la ferme seraient 
exécutés par les élèves; là ils mettraient en pra- 
tique les leçons de leurs professeurs. Un jardin 
botanique , plus complet qu’à l’école centrale , les 
mettrait à même de connaître à fond toute la ri- 
chesse végétale du globe. 

Un cours d’art vétérinaire. Des troupeaux de 
toute espèce appartiendraient à l’établissement ; 
les élèves seraient alors à même de connaître les 
soins qu’ils exigent, de suivre leurs maladies et 
les trait emens qu’elles réclament. Un grand nombre 
de chevaux de labour ou de main serait néces- 
saire à rétablissement ; un haras pourrait y trou- 
ver sa place; les élèves auraient donc des occa 
sions fréquentes de pratiquer l’art vétérinaire. 

* Un cours de chimie végétale et d’industrie agri- 
cole. Nous voudrions que l’établissement contînt 
un laboratoire de chimie , une fabrique de sucre 
de betterave , une distillerie pour les eaux-de-vie 
de différentes espèces , une fabrique de vinaigre 
de bois , une corderie, une fabrique de toile, des 
forges de maréchaux, et même un atelier de 
charronnage. 1 • .. rc:' 

- Nous ne doutons pas que nos élèves, habitués, 
à l’école centrale, à manier des instrumens, à 
travailler le bois et le fer, ne parvinssent assez 

8 .. 


( 116 ) 

facilement à pratiquer ces différens arts de ma- 
nière à les posséder parfaitement , et à savoir se 
passer au besoin du secours d’autrui, lorsqu’ils se- 
raient employés dans une ferme- modèle, ou qu’ils 
dirigeraient toute autre exploitation agricole. 

Et l’administration de l’établissement , la vente 
des produits , l’achat des matériaux, la correspon- 
dance, tout serait conduit pas les élèves dirigés 
par des chefs capables. 

Il nous semble qu’un jeune homme sorti de 
l’école centrale deviendrait, après deux ou trois 
années de séjour dans notre école spéciale d’agri- 
culture , un agronome théoricien et praticien aussi 
complet qu’il est possible de le désirer. 

L’école spéciale de l’industrie devrait être placée 
au milieu d’une ville manufacturière, telle que 

Rouen, Lyon ou Saint-Étienne. Les élèves y sui- 

* 

v raient les cours suivans : 

Un cours d’architecture et de construction ; des 
ateliers de modèles en briques, en plâtre et en 
bois , semblables à ceux de l’école centrale , per- 
mettraient aux élèves d’exécuter en petit , et dans 
toutes leurs parties, les constructions nouvelles 
qui leur auraient été décrites; 

Un cours de mécanique industrielle ; les mêmes 
ateliers , et un autre atelier pour le travail du fer 
et du cuivre, plus complet que celui de l’école 
centrale , procureraient aux élèves le moyen de 
former les modèles des machines, ou les machines 


( h r ) 

mêmes employées dans les arts, dans les fabriques 
d’étoffes de toute espèce ; il faudrait , par exemple, 
que, vers la fin de leurs études pratiques dans ce 
genre, les élèves pussent exécuter en cojnmun 
des modèles complets de machines à vapeur ou de 
métiers compliqués : nous voudrions que l’établis- 
sement contînt tous les élémens des manufactures 
de draps , d’étoffes de soie et de coton, et que les 
élèves , mélangés avec les ouvriers, y pussent suivre 
la pratique de ces industries dans tous leurs 
détails ; , - 

Un cours de chimie appliquée aux arts : un la- 
boratoire dedocimasie, des fabriques de produits 
chimiques, une teinturerie, devraient faire partie 
de l’établissement ; nous voudrions qu’une usine à 
fer complète, depuis le haut-fourneau jusqu’aux 
laminoirs , pût y être mise en activité ; 

Un cours de minéralogie et de géologie. Des 
cabinets où les minéraux seraient classés suivant 
différens systèmes, seraient ouverts aux élèves. 
La métallurgie serait comprise dans le cours pré- 
cédent; l’architecture souterraine serait un des 
chapitres du cours de construction ; le grand et le 
petit sondage y seraient décrits avec soin et détail. 
Nos élèves auraient donc toutes les connaissances 
nécessaires pour occuper des places de directeurs 
de mines, pour diriger la recherche des eaux sou- 
terraines et leur distribution dans les villes. 

Mais ce qui formerait surtout nos jeunes indus- 


( 08 ) 

trieis, ce seraient des voyages qu’ils entrepren- 
draient chaque année, réunis par groupes, et aux 
frais de l’établissement, d’abord en France, plus 
tard à l’étranger, pour étudier les travaux publics, 
la géologie, la métallurgie, et les arts de toute 
espèce. Leurs journaux de voyage devraient donner 
les détails de toutes leurs observations; et l’exa- 
men qu’en feraient leurs professeurs serait une 
des données principales du jugement définitif qui 
serait porté sur leur capacité et leurs succès, à la 
sortie de l’école. 

Les personnes qui ont entrepris des voyages de 
cette nature en sentent toute l’importance ; rien 
ne laisse des traces plus durables dans la mémoire, 
que ces premières excursions d’un jeune indus- 
triel, ou, libre de ses actions et de ses pensées, il 
observe la nature et l’art, sans autre guide que 
l'instruction qu’il a reçue. Et de quelle utilité ne 
seraient pas pour la statistique et les progrès 
des arts, ces voyages faits chaque année par des 
jeunes gens actifs, et instruits dans les sciences 
théoriques et pratiques ? 

Nous voudrions qu’une vaste maison de banque 
et de commerce, dotée par l’État, fut établie à Paris, 
qu’elle eût des comptoirs dans tous les principaux 
ports de France , et qu’elle pût embrasser à la fois 
toutes les parties de notre commerce intérieur et 
extérieur. Ce grand établissement, dirigé par des 
négocians intègres et capables qui auraient une 


( 119 ) 

part dans les bénéfices de l’entreprise, formerait: 
notre école spéciale du commerce» Là, les élèves 
acquerraient <le$ connaissances pratiques d’autant 
plus étendues que rétablissement serait; monté 
sur une plus grande échelle* 

Une première année, ils rempliraient les fonc- 
tions de commis à l’établissement central, se ré- 
pandraient dans les maisons de banque, à labourse, 
aux entrepôts, dans les ateliers de travail, partout 
où le banquier et le négociant sont conduits par 
leurs affaires* Une seconde armée, ils seraient dis- 
tribués dans les comptoirs des ports, où iis prati- 
queraient le commerce de cabotage, d’importation 
et d’exportation. Enfin , pendant une troisième an- 
née, ils feraient les fonctions de commis- voyageurs 
dans toutes les contrées de l’Europe, où ils se pé- 
nétreraient des habitudes commerciales des diffé- 
rentes nations, de leur système monétaire , de leurs 
moyens de crédit, de leurs besoins, de la nature 
de leurs productions. r; < > ii ? 

Dans cette école, tout serait pratique; aucun 
cours théorique ne nous paraissant devoir être 
ajouté à ceux suivis clans l’école centrale. Toute- 
fois il serait peut-être important que les élèves 
s’y perfectionnassent dans l’étude des langues 
étrangères. 

L’école spéciale de l’administration serait néces- 
sairement clans la capitale. Trois cours y seraient 
professés :1e premier de droit, plus étendu et 


( 120 ) 

plus complet que celui de l’école centrale j le se- 
cond d’histoire : cette science, encore incomplète 
malgré les progrès qu’elle a faits de nos jours, ren- 
ferme cependant de grands enseignemens pour 
les hommes destinés à arriver au pouvoir ; elle con r 
tient le germe le plus fécond de la science sociale; 
elle est le résumé d’expériences souvent sanglantes 
faites sur l’espèce humaine ; ces expériences ont 
coûté le bonheur de bien des générations ; puis- 
sent-elles n’être pas perdues pour celles qui nous 
remplaceront! Enfin un cours d’administration, 
qui exposerait en détail la nature et la distribution 
du travail, aux Chambres, dans tous les ministères, 
au conseil d’état, dans les préfectures , enfin dans 
toutes les divisions et subdivisions de notre ma-' 
chine gouvernementale. 

Cette école spéciale aurait une tribune à la 
chambre des Pairs, une à celle des Députés, des 
places réservées dans les tribunes publiques du 
• conseil d’état et de tous les tribunaux; quelques 
élèves pourraient assister à chaque séance des 
conseils des ponts-et-chaussées et des mines, et 
du conseil de préfecture du département de la 
Seine. 

Les élèves, distribués chaque jour, et à tour de 
rôle, dans ces différens lieux, seraient tenus de 
rendre compte des discussions qu’ils auraient en- 
tendues, ou des jugemens qu’on aurait rendus de- 
vant eux, en accompagnant ces mémoires de leurs 


( 121 ) 

réflexions sur chaque débat, et de leur opinion 
motivée sur sa marche et son résultat. 

Telles nous paraissent devoir être les études 
pratiques indispensables pour former un bon ad- 
ministrateur. Les' meilleurs mémoires présentés 
par les élèves, sur toutes les séances qu’ils auraient 
suivies, devraient être publiés aux frais de l’é- 
tablissement. Nous ne doutons pas que la lecture 
de ce recueil ne fût très profitable à toutes les 
personnes qui font partie de notre gouvernement 
et de nos administrations, et qu’elles n’y trouvas- 
sent souvent de bons conseils à suivre, et de bon- 
nes idées à recueillir. 

Pour donner aux trois écoles spéciales de l’a- 
griculture, de l’industrie et du commerce, une 
plus grande importance, une influence plus géné- 
rale et plus répandue sur la société , il convien- 
drait d’y admettre, outre les élèves de l’école 
centrale, auxquels nous donnerons le nom d’é- 
lèves internes, d’autres jeunes gens qui y seraient 
admis directement, après avoir subi un examen 
particulier. Nous appellerons ces derniers , élèves 
externes : ils ne jouiraient d’aucun des avantages 
dont nous avons parlé plus haut, et qui seraient 
exclusivement le partage des élèves internes ; le 
gouvernement ne se chargerait pas de leur place- 
ment; ils n’auraient droit à aucun traitement; et 
meme, si les économies budgétaires l’exigeaient, 
ils seraient astreints à payer une sorte de pension 


( 1 22 ) 

pour couvrir l'accroissement de frais que leur ins- 
truction occasionerait, quoiqu’il nous parût plus 
libéral et mieux entendu de les recevoir gratui- 
tement. - 

Le programme de l’examen qu’on, leur ferait 
subir comprendrait r les mathématiques élémen- 
taires, les élémens de physique, de chimie et 
d’histoire naturelle , et l’économie politique. Outre 
les cours et les exercices pratiques de l’école spé- 
ciale dans laquelle ils entreraient, ils suivraient 
des cours destinés à perfectionner leurs connais- 
sances générales, analogues à ceux de l’école cen- 
trale , mais beaucoup plus élémentaires , dans les- 
quels on se contenterait d’énoncer les vérités 
dont la démonstration serait hors de leur portée. 

Ces cours seraient professés par les élèves in- 
ternes les plus distingués, qui feraient ainsi l’ap- 
prentissage d’une partie 'importante de leurs 
fonctions dans la société /celle de vulgariser et de 
répandre chez: leurs concitoyens les connaissances 
qu’ils auraient acquises. 

A la fin de leurs études dans une école spéciale, 
les élèves externes subiraient un examen; il fèur 
serait alors délivré un brevet de capacité qui de- 
viendrait' un titre important pour trouver de 
l’emploi dans des établissemens particuliers , si 
notrè système d’éducation professionnelle, et les 
écoles qui le composent, acquéraient dans le pu- 
blic toute la confiance que nous nous en promet- 


( 123 ) 

tons. Et réellement pourrait-il en être autrement? 
Les théoriciens et les praticiens exclusifs auraient- 
ils des objections sérieuses à faire au plan que 
nous proposons? N’avons-nous pas constitué nos 
programmes et les examens d’entrée, de manière 
à satisfaire les plus difficiles d’entre eux ? 

Nous devons dire ici quelque chose sur l’al- 
liance de nos écoles spéciales avec celles qui exis- 
tent déjà. Si l’on a bien compris le but qui nous 
a fait introduire une grande variété d’études dans 
nos programmes, on concevra que l’école de l’in- 
dustrie pourrait dispenser le gouvernement d’en* 
tretenir une école des ponts-et-chaussées et une 
école des mines. L’École des mineurs de St-Étienne 
et une partie des écoles d’arts et métiers devien- 
draient superflues : les élèves externes de l’école 
d’industrie satisferaient aux mêmes besoins so- 
ciaux. Le corps des élèves externes de l’école d’a- 
griculture pourrait remplacer l’École vétérinaire. 

L’École des Ponts-et-Ghaussées, dirigée par des 
ingénieurs habiles et par des professeurs instruits, 
remplit parfaitement le seul but pour lequel elle 
a été créée ; la beauté, la solidité et l’économie 
des travaux publics qui couvrent le sol die la 
France, en offrent mille preuves irrécusables. 
Nous croyons cependant qu’il y aurait de l’avan- 
tage à recruter le corps des ingénieurs des pontsv 
et-chaussées parmi les élèves internes de notre 
école spéciale de l’industrie. 


( 124 ) 

Des connaissances plus étendues en économie 
politique et en statistique permettraient à tous 
nos ingénieurs de s’occuper non-seulement de la 
partie technique d’un projet, mais encore de sa 
partie financière; car nous ne pouvons croire que 
le gouvernement persiste à les tenir dans une telle 
dépendance, qu’ils ne puissent donner leur opi- 
nion sur l’utilité réelle d’un projet, et qu’ils doi- 
vent toujours se borner à exécuter consciencieuse- 
ment, et avec toute la perfection désirable, les 
travaux dont iis sont chargés. Suivant nous, il est 
du devoir, peut-être même de l’honneur d’un in- 
génieur, de refuser de se charger d’un travail 
qu’il reconnaît inutile ou mal conçu sous le point 
de vue financier. . . 

Si les ingénieurs anglais ont réussi à couvrir 
l’Angleterre de tant de travaux utiles, malgré leur 
peu de connaissances techniques , c’est parce qu’ils 
discutent bien la partie financière d’un projet. 

Si nos canaux offrent de beaux modèles de cons- 
truction, et si cependant leur ensemble est fort 
incomplet , c’est que la partie technique a été jus- 
qu’ici à peu près la seule qu’on ait bien étudiée 
en France. 

Nous avons déjà eu l’occasion de témoigner 
notre regret que l’étude de la géologie ne soit pas 
regardée comme indispensable aux ingénieurs des 
ponts-et-chaussées. Il y a lieu de regretter aussi 
que leurs études ne leur aient pas donné des con- 


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( 125 ) 

naissances plus variées sur tous les arts industriels. 
Les voyages qu’ils sont quelquefois obligés de faire 
à l’étranger, pour examiner des travaux qui se 
rapportent à leur spécialité, procureraient des ré- 
sultats plus nombreux ou une moisson plus abon- 
dante. N’est-il pas étonnant que les chemins de fer 
et les ponts suspendus n’aient pas été importés en 
France par des ingénieurs des ponts-et-chaussées ? 

Il est temps de donner au corps des ponts-et- 
chaussées toute son importance , de profiter de 
toute l’influence qu’il peut avoir sur les progrès 
des arts, en introduisant dans le cours d’études 
des ingénieurs toutes, les sciences de nos pro- 
grammes. Il serait donc convenable de recruter 
les ingénieurs à notre école spéciale de l’indus- 
trie. 

- Loin de nous la pensée d’attaquer un corps aussi 
utile et aussi instruit que celui des ponts-et-chaus- 
sées! Que ses détracteurs ne croient pas que nous 
fassions cause commune avec eux , nous qui na- 
guère avons élevé la voix pour défendre ce corps 
contre d’injustes préventions, qui voudrions le 
voir chargé de diriger les nombreux travaux 
publics dont la France a besoin, comme infini- 
ment plus capable que qui que ce soit de leur 
donnertoute la perfection désirable! Les taches qui 
déparent cette belle institution sont des traces 
évidentes du despotisme de l’empire, qui craignait 
l’enseignement des sciences dont le nom seul était 


( m ) 

une critique sévère de son système et de ses actes, 
et qui exigeait une obéissance passive de la part 
de tous les fonctionnaires de l’État. 

Quand des réformes salutaires dans l’adminis- 
tration des ponts-et-chaussées auront brisé ces 
liens surannés; quand elles rendront aux ingé- 
nieurs toute l’indépendance qui leur est nécessaire 
pour remplir dignement leurs importantes fonc- 
tions , on verra surgir de ce corps des talens trop 
peu connus, qui cultivent aujourd’hui toutes les 
sciences, mais dans l’ombre, et dans la crainte de 
l’autorité , qui tient leur sort entre ses mains. L’a- 
vénement du nouveau directeur est peut-être 
l’aurore de ce jour de réforme tant désiré. 

Le corps des mines , quoique peu nombreux , a 
eu une grande influence sur les progrès des arts 
et des sciences en France. La géologie lui doit ses 
dernières découvertes, et notre patrie lui devra la 
connaissance exacte et complète de sa richesse 
minérale et de la configuration' de son sol. Lors- 
que la chimie , dans sa marche progressive , s’est 
attachée à analyser avec soin les substances miné- 
rales , pour découvrir les lois et les proportions de 
combinaison des substances simples qui les com- 
posent, nos ingénieurs des mines ont contribué 
puissamment à ces nouveaux travaux. 

Si l’industrie du fer s’est perfectionnée en 
France* si elle n’attend plus que de nouveaux 
moyens de transport, pour devenir aussi impor- 


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( 127 ) 

tante et aussi prospère qu’elle l’est en Angleterre, 
le corps des mines en est la principale cause. Ses 
ingénieurs, répandus dans les départemens,où leur 
spécialité n’est pas aussi prononcée que celle des 
ingénieurs des ponts-et- chaussées, ont utilisé leur 
temps et leurs connaissances à donner de sages 
conseils aux propriétaires de mines et d’usines , à 
les secourir de tous leurs moyens , à les défendre 
même auprès des autorités. Ils ont en quelque 
sorte réalisé, sur une petite échelle, la fonction 
d’avocat-consultant que nous voudrions voir rem- 
plir par tous les hommes instruits qui sortiraient 
de nos écoles spéciales. 

Les voyages qu’ils ont faits à l’étranger ont en<* 
richi la statistique industrielle et métallurgique 
d’une multitude de données précieuses , dont ils 
ont eux-mêmes indiqué et introduit les applica- 
tions,. Ce sont eux qui ont fait sentir les premiers 
en France l’utilité des chemins de fer. La création 

f # 

de l’Ecole des mineurs de St-Etienne est due à leur 
zèle et à leur sollicitude pour les besoins de l’in- 
dustrie. L’École des Mines a donné le premier 
exemple du système d’élèves externes que nous 
proposons ; de bons directeurs de mines et d’usi- 
nes sont sortis de cette nouvelle institution; des 
étrangers y sont venus puiser une instruction so- 
lide, et ont emporté dans leur patrie un sentiment 
profond de reconnaissance pour la libéralité de 
notre nation. 


( 128 ) 

Et c’est parce qu’il a donné, en quelque sorte -, 
la preuve expérimentale de Futilité de nos vues 
sur le cours des études de notre école spéciale 
d’industrie, que le corps des mines devrait être 
chargé de diriger l’enseignement des sciences qui 
le concernent, dans ce nouvel établissement, et 
qu’il devrait y recruter ses membres. 

Les connaissances plus approfondies que l’ingé- 
nieur des mines aurait acquises sur Fart des cons- 
tructions, lui seraient d’une grande utilité dans 
bien des circonstances, et lui permettraient de 
réagir utilement sur les progrès de cette science, 
par des travaux complets sur le choix de l’établis- 
sement et sur le mode d’exploitation des différentes 
carrières, sur la confection et la composition des 
mortiers, sur le meilleur mode de fabrication du 
fer employé dans les constructions , sur les diffi- 
cultés que la nature et la configuration du sol op- 
posent au tracé d’un canal , etc. 




♦ 


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( 129 ) 


VWV\\<WWV\A\W\VWVV\'».VWV\%»VWW''VV\V^ <VV\'\VVVV>V>AWV^\V\V\A,VV'WVVWVV» 

• • , • * 


CONCLUSION. 

I 



La tâche que nous nous étions imposée est ter- 
minée. Mais nous croyons utile de réunir ici les 
idées principales de notre travail. Nous n’accom- 
pagnerons les formules qui les expriment d’au- 
cune réflexion nouvelle; nous croyons avoir suffi- 
samment prouvé , dans le cours de l’ouvrage , leur 
valeur et leur opportunité. 

L’industrie est la base du nouvel état social qui 
tend à s’établir en France. Elle doit servir de but 
à nos nouvelles institutions. 

La réforme de l’instruction publique doit com- 
mencer par celle de l’éducation professionnelle des 
jeunes gens sortis de nos collèges. Il faut attendre 
les progrès de la physiologie pour modifier conve- 
nablement, et d’une manière durable, l’éducation 
générale. 

Il est indispensable de créer une école centrale 
et quatre écoles spéciales, pour donner à la société 
des agriculteurs, des chefs d’industrie, des négo- 
cians et des administrateurs. 

9 


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( *30 ) 

Les examens d’entrée à l’école centrale porte- 
ront sur tout le cours des études collégiales, sur 
les mathématiques élémentaires et quelques par- 
ties des mathématiques spéciales. L’examinateur 
n’aura à porter qu’un simple jugement de capa- 
cité; il devra recevoir tout candidat qu’il jugera 
en état de comprendre les sciences abstraites , et 
ne rejeter que ceux des examinés dont l’incapacité 
générale lui serait démontrée; il n’aura aucun 
classement à faire. 

Une année suffira à un jeune homme ayant ter- 
miné ses études collégiales, pour se préparer à 
subir les examens d’admission. Le cours d’études 
de l’école centrale sera de trois années. 

Les études théoriques de cet établissement doi- 
vent comprendre : les mathématiques pures et la 
mécanique rationnelle , la physique et la chimie , 
l’histoire naturelle et la physiologie, l’économie 
politique et la statistique, enfin la législation. Ces 
sciences ont toutes une utilité industrielle. Leur 
nombre et leur variété ont pour but de donner 
aux élèves l’occasion de manifester d’une manière 
plus certaine la carrière spéciale que leurs dispo- 
sitions naturelles doivent leur faire parcourir. 

Les études pratiques comprendront : le dessin 
linéaire et ses applications , un cours de pratique 
industrielle. L’école centrale devra contenir : des 
ateliers pour confectionner des modèles en plâtre 
et en briques; un atelier de tourneur et de menui- 


( 131 ) 

sérié, pour façonner des modèles en bois; un ate- 
lier de fondeur et de serrurerie, où une machine 
à vapeur mettra en activité les mécanismes qui 
servent à travailler le fer; un laboratoire de chi- 
mie; un jardin botanique. Les élèves, réunis en 
un vaste bureau, y coordonneront les renseigne- 
mens statistiques que le gouvernement leur don- 
nera les moyens de se procurer. L’administration 
de l’établissement sera confiée aux élèves , sous la 
direction de chefs habiles. 

Les élèves, qui durant leur séjour à l’école cen- 
trale , se prononceraient pour suivre une carrière 
déterminée, pourront être soumis à moins d’exi- 
gences sur les sciences et les exercices pratiques 
qui ne seraient pas directement utiles à leur spé- 
cialité. 

L’Ecole Polytechnique a offert une preuve irré- 
cusable de l’efficacité du système que nous pro- 
posons. En modifiant convenablement son pro- 
gramme d’admission, et les études qui y sont 
suivies, on lui rendra sa destination primitive; 
alors elle tiendra lieu de notre école centrale. 

A leur sortie de l’école centrale, les élèves qui 
ne se destineront pas au service militaire ou aux 
constructions navales, seront distribués dans les 
quatre écoles spéciales de l’agriculture, de l'in- 
dustrie, du commerce, et de l’administration , dont 
ils formeront les élèves internes. 

L’école spéciale de l’agriculture sera située dans 


( 132 > 

une partie de la France où le territoire soit propre 
à toutes les cultures indigènes ; elle y sera organi- 
sée en une vaste ferme et toutes ses dépendances, , 
Les élèves y suivront trois cours principaux : le 
I er de botanique et d’agriculture; le a* d’art vé- 
térinaire; le 3 e de chimie végétale et d’industrie 
agricole. Les travaux de la ferme et ceux du jar- 
din botanique qui en dépendra , seront exécutés 
par eux. Des fabriquas et des ateliers particuliers y 
un laboratoire de chimie, leur donneront les 
moyens d’exercer tous les arts qui peuvent leur 
êtres utiles. 

• i 

L’école spéciale de l’industrie sera placée dans 
le voisinage d’une ville manufacturière. Des cours 
d’architecture et de construction, de mécanique 
industrielle, de docimasie et de chimie appliquée 
aux arts , de minéralogie et de géologie , y seront 
professés. Des laboratoires , des ateliers sembla- 
bles à ceux de l’école centrale, mais plus complets, 
des manufactures d’étoffes de toute espèce , don- 
neront aux élèves les connaissances pratiques qui 
leur sont indispensables. 

Une vaste maison de commerce et de banque, 
dotée par l’État, établie à Paris, et ayant des 
comptoirs dans nos principaux ports, formera l’é- 
cole spéciale du commerce. 

L’école spéciale de l’administration sera située 
à Paris; des cours complets de droit, d’his- 
toire, et de pratique administrative, y seront pro- 


( 133 ) 

fessés. Les élèves auront une tribune à chacune de 
nos chambres parlementaires , des places réservées 
aux séances du conseil d’état, de tous les tribu- 
naux, des conseils des ponts-et-chaussées et des 
mines. Ils seront tenus de rendre compte des dé- 
bats auxquels ils auront assisté. 

Il sera créé dans les départemens , des fermes- 
modèles. Leurs employés seront recrutés parmi 
les élèves internes de l’école d’agriculture. 

Il sera créé une place d’industriel à chaque 
préfecture ou sous -préfecture. Les Ecoles des 
Ponts-et-Chaussées et des Mines pourront être 
supprimées, et les ingénieurs recrutés à l’école 
de l’industrie. 

L’État donnera des places, au ministère des fi- 
nances , de receveur de contributions, de consul 
ou de vice-consul , aux élèves internes de l’école 
du commerce. 

. r 

Le corps des conseillers de préfecture et d’arron- 
dissement, des sous -préfets et des préfets, sera 
recruté en partie à l’école d’administration. L’État 
y prendra une partie de ses secrétaires d’ambas- 
sade. 

• - 

Les élèves internes des quatre écoles spéciales 
jouiront, durantleur séjour dans ces établissemens 
d’un traitement particulier. Ce traitement leur 
sera continué pendant quelques années après leur 
sortie , quand le gouvernement ne pourra pas les 
placer. 


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( 434 ) 

Tout titulaire d’un brevet de capacité d’élève 
interne , : qui n’aura pas d’emploi dépendant du 
gouvernement, jouira des droits d’élection et d’é- 
ligibilité, lorsque le cens de ses contributions s’é- 
lèvera à une fraction déterminée de celui que fixé la 
loi. ' ' 

On recevra, après des examens particuliers, aux 
trois écoles spéciales de l’agriculture , de l’indus- 
trie et du commerce , des élèves externes , ou qui 
n’auront pas passé par l’école centrale. Leurs étu- 
des seront principalement dirigées par les élèves 
internes. 

Ces élèves externes ne jouiront d’aucun des 
avantages précédens, exclusivement réservés aux 
élèves internes qui auront suivi les cours de l’é- 
cole centrale et satisfait à tous les examens de 
sortie. > 

Un brevet de capacité sera délivré à chaque 
élève externe, à sa sortie de l’école spéciale. La 
confiance du public dans nos établissemens pourra 
donner de la valeur à ce brevet, et procurer de 
l’emploi à son titulaire. „ 

Les sujets des nations alliées de la France se- 
ront admis dans nos écoles. Leurs gouvernemens 
. régleront les avantages qu’il leur conviendra d’ac- 
corder à ceux qui auront passé par ces établisse- 
mens. 


' ( 135 ) 

Nous aimons à croire que l’étendue des fonds 
nécessaires pour opérer les utiles réformes que 
nous avons signalées, pour constituer quatre éco- 
les spéciales , et les corps de fonctionnaires qu’elles 
alimenteraient, n’arrêterait pas des ministres qui 
sentiraient profondément le bien réel d’une pa- 
reille création , et toute la gloire qu’ils retireraient 
de l’avoir proposée. 

Dans ces doléances dont retentissent nos cham- 
bres législatives, lors de la discussion des lois fis- 
cales, ils doivent voir bien moins une protestation 
contre des dépenses productives et d’un intérêt 
général, que la crainte d’un emploi stérile des 
fonds du trésor ; et nous pensons que nos légis- 
lateurs sentiraient trop bien l’importance de l’ins- 
truction professionnelle que nous proposons de 
répandre, pour refuser au gouvernement le crédit 
qu’il demanderait dans ce but. 



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